Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SOCIOLOGIE DE L'ART

Première génération : l'esthétique sociologique

Dans le prolongement des rares philosophes qui avaient mis en avant l'idée d'une détermination extra-esthétique de l'art (Hippolyte Taine, Philosophie de l'art, 1865 ; Charles Lalo, L'Art et la vie sociale, 1921), une première génération, rompant avec le traditionnel binôme de l'artiste et de l'œuvre, s'intéresse à la relation entre l'art et la société. Cette nouvelle « esthétique sociologique » émerge à la fois chez les penseurs marxistes, dans la philosophie de la première moitié du xxe siècle, et chez quelques historiens de l'art atypiques.

On trouve dans la première catégorie le Russe Georges Plekhanov (L'Art et la vie sociale, 1912, trad. franç.,1950), le Hongrois Gyōrgy Lukács (Théorie du roman, 1920, trad. franç., 1963 ; Littérature, philosophie, marxisme, 1923, trad. franç., 1978), le Français Lucien Goldmann (Pour une sociologie du roman, 1964 ; Le Dieu caché, 1956), ou les Anglais Francis Klingender (Art and the Industrial Revolution, 1947), Frederick Antal (Florence et ses peintres. La peinture florentine et son environnement social, 1947, trad. franç., 1991) et Arnold Hauser (Histoire sociale de l'art et de la littérature, 1951, trad. franç., 1982), qui propose en plusieurs volumes une explication de toute l'histoire de l'art à partir du matérialisme historique, les œuvres d'art étant interprétées comme un reflet des conditions socio-économiques.

Dans la deuxième catégorie, ce sont les philosophes de l'école de Francfort qui s'apparentent à la sociologie de l'art, par leur intérêt pour les relations entre l'art et la vie sociale. Mais en stigmatisant le « social » et les « masses », tout en idéalisant la culture et l'individu, ils s'éloignent non seulement de la tradition marxiste, mais aussi des fondements désidéalisants et désautonomisants de la sociologie de l'art. Ainsi, Theodor Adorno (Philosophie de la nouvelle musique, 1949, trad. franç., 1962 ; Théorie esthétique, 1970, trad. franç., 1974) défend l'autonomie de l'art et de l'individu contre la « massification ». Quant à Walter Benjamin (L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, 1936), il tente de faire converger l'idéal progressiste et les phénomènes culturels – deux valeurs propres aux avant-gardes, politiques et artistiques – en analysant l'art comme un moyen d'émancipation des masses face à l'aliénation imposée par la société.

Theodor Adorno, 1935 - crédits : I. Mayer-Gehrken/ T. W. Adorno Archiv, Frankfurt a.M.

Theodor Adorno, 1935

Walter Benjamin - crédits : AKG-images

Walter Benjamin

Enfin, le troisième courant de l'esthétique sociologique provient de l'histoire de l'art : dans une tradition ouverte en philosophie par le vitalisme de Jean-Marie Guyau (L'Art au point de vue sociologique, 1887), il s'agit de pointer ce en quoi l'art peut être le révélateur, et non plus l'effet, de réalités collectives, visions du monde ou « formes symboliques ». Cette histoire de l'art « sociologisante » a été illustrée en France par Pierre Francastel (Peinture et société, naissance et destruction d’un espace plastique, de la Renaissance au cubisme, 1951 ; Études de sociologie de l'art, 1970), qui met par exemple en évidence la construction de l'espace plastique par la vision picturale, ou insiste sur les conditions matérielles et techniques de la production artistique (Art et technique aux XIXe et XXe siècles, 1956). L'art, affirme-t-il, n'est pas un « reflet », il est « une construction, un pouvoir d'ordonner et de préfigurer. L'artiste ne traduit pas, il invente ». C'est dans une inspiration analogue que s'inscrivent les recherches de Hubert Damisch (Théorie du nuage, 1972) ou de Jean Duvignaud (Sociologie du théâtre, 1965 ; Sociologie de l'art, 1972).

Des perspectives novatrices[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

Theodor Adorno, 1935 - crédits : I. Mayer-Gehrken/ T. W. Adorno Archiv, Frankfurt a.M.

Theodor Adorno, 1935

Walter Benjamin - crédits : AKG-images

Walter Benjamin

Autres références

  • ANTAL FREDERICK (1887-1954)

    • Écrit par
    • 758 mots

    Fils de la bourgeoisie aisée de Budapest, Frederick Antal est à la fois le premier en date et le plus important historien d'art marxiste, et on peut le considérer comme le fondateur d'une histoire de l'art matérialiste libérée de tout esprit spéculatif. Cet homme, qui a participé activement, en...

  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture et société

    • Écrit par
    • 5 782 mots

    À côté des impératifs esthétiques et techniques, les problèmes d'usage occupent une place importante au sein de la discipline architecturale. Constitutive de l'espace urbain, présente en des points névralgiques du territoire qu'elle contribue à structurer, l'architecture possède une portée sociale...

  • ART (Aspects culturels) - L'objet culturel

    • Écrit par
    • 6 295 mots
    • 6 médias
    ...difficulté pour l'œil de saisir qu'entre la réalité et lui il n'y a pas de cas où la société ne se glisse, avec ses croyances, son savoir, son idéologie. Ce qui est fondamental, qu'on admet pour la littérature et aussi pour les sciences, mais qui reste à imposer pour les arts plastiques, c'est la primauté...
  • ART (Aspects culturels) - La consommation culturelle

    • Écrit par
    • 4 058 mots
    • 2 médias
    ...l'origine sociale n'étant jamais aussi forte, toutes choses étant égales par ailleurs, qu'en matière de « culture libre » ou de culture d'avant-garde. À la hiérarchie socialement reconnue des arts et, à l'intérieur de chacun d'eux, des genres, des écoles ou des époques, correspond la hiérarchie sociale...
  • Afficher les 36 références