- 1. Qui sont les sociologues de l'art ?
- 2. Aux origines : l'histoire culturelle
- 3. Première génération : l'esthétique sociologique
- 4. Deuxième génération : l'histoire sociale de l'art
- 5. Troisième génération : la sociologie d'enquête
- 6. Sociologie de la réception
- 7. Sociologie de la médiation
- 8. Sociologie de la production
- 9. Sociologie des œuvres
- 10. Bibliographie
SOCIOLOGIE DE L'ART
Sociologie des œuvres
La sociologie des œuvres d'art constitue la dimension à la fois la plus attendue et la plus controversée de la nouvelle sociologie de l'art. Celle-ci n'accorde plus un privilège de principe aux œuvres sélectionnées par l'histoire de l'art : ce qui ne signifie pas qu'elle nie leur importance, ni les différences de qualité artistique, mais qu'elle s'intéresse également aux processus dont elles sont l'occasion, la cause ou la résultante.
Une première approche consiste à relativiser les frontières de l'art : soit géographiques, dans une interrogation anthropologique sur la notion même d'esthétique et ses intersections avec des fonctions utilitaires, symboliques ou religieuses ; soit hiérarchiques, entre « grand art » et « arts mineurs », « art d'élite » et « art de masse », « beaux-arts » et « arts populaires » ; soit ontologiques, entre « art » et « non-art » – pratiques culturelles, ready-mades, dessins d'aliénés, d'autodidactes ou d'enfants, voire d'animaux...
Une autre approche, interprétative, consiste à rapporter une œuvre à son contexte, comme l'a fait Michel Foucault à propos des Ménines de Velázquez (Les Mots et les choses : une archéologie des sciences humaines, 1966). Mais, outre la rareté des œuvres qui se prêtent aussi bien à l'interprétation, se pose alors la question de la spécificité de l'approche sociologique. Elle ne réside guère que dans ses méthodes : soit par la prise en compte des stratifications sociales, plutôt que dans la référence à une « société » dans son ensemble, c'est-à-dire à une culture (stratification mise en évidence par Pierre Bourdieu, à propos de L'Éducation sentimentale de Flaubert dans « L'Invention de la vie d'artiste », article paru dans les Actes de la recherche en sciences sociales en 1975) ; soit par la taille du corpus, seule capable de donner libre cours à la comparaison, cette méthode spécifique des sciences sociales. Ainsi, lorsque Tzvetan Todorov retrace la généalogie de l'individualisation et de la sécularisation dans la représentation picturale (Éloge de l'individu. Essai sur la peinture flamande de la Renaissance, 2000), ou lorsque Nathalie Heinich décrit les structures de l'identité féminine dans plusieurs centaines d'œuvres de fiction (États de femme. L'identité féminine dans la fiction occidentale, 1996), il s'agit d'analyser collectivement les œuvres, en dégageant les caractères communs à une multiplicité de productions, plutôt que de les interpréter une par une.
Parallèlement à la relativisation des valeurs et à l'interprétation des significations s'ouvre une troisième voie : celle d'une approche « pragmatique », analysant non pas ce qui fait, ce que valent ou ce que signifient les œuvres d'art, mais ce qu'elles font, en situation. Facteurs de transformations, elles possèdent en effet des propriétés (plastiques, musicales, littéraires) qui agissent : sur les émotions de ceux qui les reçoivent, en les « touchant », en les « bouleversant », en les « impressionnant » ; sur leurs catégories cognitives, en entérinant des découpages mentaux et, parfois, en les brouillant ; sur leurs systèmes de valeurs, en les mettant à l'épreuve des objets de jugement ; sur l'espace des possibles perceptifs, en programmant les expériences sensorielles, les cadres perceptifs et les catégories évaluatives qui permettront de les assimiler (Nathalie Heinich, Le Triple Jeu de l'art contemporain, 1998).
Ces questions font l'objet de maints débats parmi les sociologues de l'art, dans une discipline en pleine évolution, qui oblige à des choix rigoureux engageant des principes propres à la sociologie tout entière. Beaucoup de chemin a donc[...]
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Écrit par
- Nathalie HEINICH : sociologue, directeur de recherche au C.N.R.S.
Classification
Médias
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