ÉCONOMIE SOCIOLOGIE DE L'
Mort et résurrection d'une sociologie de l'économie
La sociologie économique ainsi conçue s'efface ensuite assez rapidement de l'horizon intellectuel des sciences sociales. En économie, le succès de l'économie mathématique et de l'économétrie, qui s'affirment à partir des années 1930 dans le prolongement de la « révolution néoclassique », ne laisse guère de place à une problématique sociologique (autre que « résiduelle »), malgré les travaux quantitatifs de Simiand. En sociologie émergent d'autres sous-disciplines telles que la sociologie du travail, qui s'épanouit surtout dans l'après-guerre, en particulier en Europe, parallèlement à l'apogée du « fordisme ». En un sens, c'est d'ailleurs autour de la question du travail et des relations professionnelles que subsiste, dans l'immédiat après-guerre, un regard proprement sociologique sur les réalités économiques. Jusqu'à aujourd'hui, la sociologie du travail et de l'emploi, la sociologie des organisations ou encore la sociologie des relations professionnelles apparaissent comme des domaines frontaliers de la sociologie économique qui participent d'une mise en contexte sociologique des réalités et des pratiques économiques, en intégrant d'ailleurs, de plus en plus, les mêmes dimensions que la sociologie économique (comme les trajectoires biographiques, la socialisation, etc.).
La sociologie économique en tant que telle réapparaît avec force dans les années 1970 aux États-Unis et, depuis lors, elle est redevenue l'une des principales et plus dynamiques branches de la discipline. On parle dans les années 1970-1980 de « nouvelle sociologie économique », par opposition à des travaux plus spéculatifs, datant de l'après-guerre, ceux de Talcott Parsons et Neil J. Smelser notamment, face auxquels se sont élevés les « nouveaux sociologues économiques ».
La sociologie économique américaine contemporaine est le plus souvent présentée à partir de trois grands courants : l'analyse structurale des marchés (incarnée notamment par Harrison White, Mark Granovetter, Ronald S. Burt...) ; l'approche organisationnelle ou « néo-institutionnelle » (Paul Di Maggio, Walter Powell, Nicole Biggart, Neil Fligstein...), qui s'est tout particulièrement épanouie dans les business schools ; et enfin l'approche ethnographico-culturelle de la vie économique (Viviana Zelizer, Mitchel Abolafia...), plus minoritaire. L'espace intellectuel de la « nouvelle sociologie économique » américaine est balisé par ces trois pôles, même si des auteurs comme Neil Fligstein échappent au moins partiellement à ce découpage.
Comme le montre une étude réalisée par Bernard Convert et Johan Heilbron en 2004, ces pôles correspondent d'ailleurs à des « réseaux » d'interconnaissance et d'intercitations qui délimitent de grandes zones à l'intérieur du monde académique. Ils renvoient également à des positions et à des trajectoires sociales et académiques différentes. Une opposition s'établit ainsi, par exemple, entre un pôle « scientifique » (ou « positiviste ») et un pôle plus « littéraire » (ou « interprétatif »), les deux correspondant à des formes différentes de capital académique. Une autre opposition sépare les sociologues les plus « critiques » et les plus « engagés », fortement marqués par l'économie marxiste (et/ou, en Europe, par le christianisme social) des sociologues plus détachés des luttes politiques, parfois assez proches de l'économie néoclassique, au moins par leur goût pour les modèles formels et leur proximité avec la théorie de l'action rationnelle.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Frédéric LEBARON : professeur de sociologie à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Classification
Média
Autres références
-
BIEN, sociologie
- Écrit par Michel LALLEMENT
- 627 mots
- 1 média
La science économique a longtemps revendiqué avec succès le monopole légitime de l’analyse des biens. Dans sa version dominante, elle rend compte de la production et de l’appropriation d’un bien privé, qu’il s’agisse d’une tomate ou d’un soin dentaire, en suivant les règles d’une institution,...
-
CROYANCES (sociologie)
- Écrit par Romain PUDAL
- 1 228 mots
- 1 média
...notion est utilisée pour désigner des discours et des préceptes largement diffusés sans qu’aucun démenti du réel ne parvienne à les faire disparaître. Frédéric Lebaron, par exemple, montre comment la croyance économique, dans sa version néolibérale, est devenue en quelques années une doxa largement incontestée... -
ÉCONOMIE (Histoire de la pensée économique) - Les grands courants
- Écrit par Jérôme de BOYER
- 8 689 mots
- 10 médias
...pensée économique allemande au début du xxe siècle. En France, dans la continuité d'Émile Durkheim (1858-1917), François Simiand (1873-1935) développe la sociologie économique, ou économie positive. Il rejette l'agent économique rationnel, a-social et a-historique, de la théorie néo-classique,... -
HOMO ŒCONOMICUS (P. Demeulenaere) - Fiche de lecture
- Écrit par Bernard VALADE
- 1 453 mots
L'Homo hierarchicus et l'Homo aequalis ont fourni, au cours des précédentes décennies, leur thème et leur titre aux ouvrages classiques de Louis Dumont. Parallèlement, l'Homo ideologicus a été mis en scène par Jean Baechler, notamment dans la préface qu'il a donnée à ...
- Afficher les 9 références