ÉCONOMIE SOCIOLOGIE DE L'
La notion de « réseau » et les conceptions « alternatives »
La sociologie économique, en particulier américaine, donne une grande importance à la notion de « réseau » (et à celle, liée, de « capital social »), qui a une longue histoire dans les sciences sociales mondiales. Le réseau est conçu comme le moyen principal d'appréhender les conditions sociales dans lesquelles se forme l'action économique individuelle. Il offre ainsi un intermédiaire entre l'individu strictement asocial de la théorie néoclassique, qui opère des choix rationnels dans un espace indéterminé, et l'individu passif agi par les structures globales (classe, systèmes économiques, etc.), qui le déterminent de façon mécanique.
Le succès de la sociologie des réseaux, en particulier dans l'analyse des marchés, peut être interprété comme celui d'une formalisation de l'action économique alternative à celle de la théorie néoclassique : l'individu choisit rationnellement, mais il le fait sous la contrainte (plus ou moins rigide) de sa position dans la structure mouvante et complexe des liens qui caractérisent le réseau. Les représentants de l'analyse des réseaux parlent ainsi, dans un sens assez restrictif, d'analyse ou de « théorie structurale » (par exemple, en France, Emmanuel Lazéga, 1999). Ce sont les réseaux qui forment la trame de la « structure sociale » ainsi conçue.
Toutes sortes de liens peuvent être pris en compte dans l'analyse des réseaux sociaux, qui vont de la participation commune à des conseils d'administration jusqu'aux liens affectifs. La mise en avant du « capital social » comme concept clé de la sociologie économique et son extension à des entités collectives exprime la généralisation de la vision d'une réalité sociale essentiellement caractérisée par les « liens » qui se nouent entre individus. Une telle conception a pour but de corriger – plus que de dépasser – la vision individualiste et atomistique par la prise en compte du maillage des relations interpersonnelles. Ainsi, les analyses en termes de réseau enrichissent l'individualisme méthodologique sans le remettre fondamentalement en cause.
Les deux autres « courants », l'approche organisationnelle et l'approche ethnographico-culturelle, se caractérisent par une démarche en général moins techniciste. Les méthodes y sont plus diversifiées, et vont du recours à l'approche historique (en particulier l'histoire des organisations) jusqu'à l'ethnographie, plus prisée dans le cadre des approches « culturelles ». La Signification sociale de l'argent de Viviana Zelizer, paru en 2005, est ainsi une contribution à la critique de la conception dominante de la monnaie qui voit dans celle-ci un instrument universel des échanges, dont l'usage croissant tendrait à dissoudre les liens sociaux dans les « eaux froides du calcul égoïste », selon l'expression de Marx. Pour Zelizer, la diffusion des moyens monétaires s'accompagne au contraire d'une capacité accrue des acteurs sociaux à différencier, étiqueter et personnaliser différentes formes de monnaies qu'ils ne cessent de faire exister en dépit des fonctions officielles dévolues à l'argent. À la monnaie unificatrice et standardisatrice, elle oppose ainsi les monnaies multiples, résultant d'un ensemble de procédés par lesquels les pratiques monétaires sont insérées dans des liens interpersonnels et définies par des usages sociaux diversifiés. L'ouvrage de Zelizer est aussi une plongée dans l'histoire de la monétarisation des pratiques sociales et plus encore de la « socialisation » de la monnaie aux États-Unis entre 1870 et 1930. Elle montre bien que l'argent est investi en permanence d'un faisceau de déterminations symboliques (qu'elle regroupe sous la notion de « marquage ») : qu'il s'agisse du pourboire ou des étrennes des gardiens[...]
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Écrit par
- Frédéric LEBARON : professeur de sociologie à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
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