PAUVRETÉ SOCIOLOGIE DE LA
La pauvreté comme relation sociale
La pauvreté est donc souvent analysée comme une relation sociale. Qu'est-ce que cette façon de voir les choses nous permet de comprendre ? Elle permet d'abord de saisir les différences entre les pays de manière comparée. Si on raisonne sur l'espace européen, la conception relationnelle de la pauvreté, définie par l'intervention de l'État, permet de distinguer ce que le sociologue Serge Paugam a appelé trois Formes élémentaires de la pauvreté(2005). Ces catégories permettent de ressaisir la construction d'ensemble de la société à partir de la prise en compte de la pauvreté. Ainsi, dans les sociétés préindustrielles, la pauvreté est dite « intégrée », au sens où elle représente la condition de la grande majorité de la population. Elle n'est pas stigmatisée comme telle et fait l'objet de régulations matérielles et morales (économie informelle, amoralisme familial, logique de clan, etc.) spécifiques. Les « protections rapprochées » fonctionnent à plein. Dans d'autres contextes, tel celui des Trente Glorieuses, la pauvreté n'est pas complètement éradiquée, mais elle ne concerne que des segments limités de la population. Ainsi, il y avait toujours des « exclus » dans la France des années 1960 ou 1970, mais ces exclus étaient marginaux (R. Lenoir, Les Exclus. Un Français sur dix, 1971). Enfin, les sociétés contemporaines sont marquées par la « disqualification sociale », c'est-à-dire l'érosion des liens sociaux à partir de la distance avec l'emploi. Robert Castel (Les Métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, 1995) a, quant à lui, parlé de « désaffiliation » pour désigner le point extrême de la vulnérabilité sociale de masse qui s’enracine dans ces sociétés. Un autre point important est que, dans nos sociétés, la pauvreté est largement imputée à la personne elle-même, plus qu'à la société au sein de laquelle elle évolue. Les politiques publiques cherchent désormais à rendre les pauvres « responsables », par le biais d'incitations financières. Il s'agit d'inciter les personnes concernées à se mobiliser, au risque de demander beaucoup à celles qui ont peu (N. Duvoux, L'Autonomie des assistés. Sociologie des politiques d'insertion, 2009).
Cette vision « relationnelle » de la pauvreté, qui la définit à partir de l'assistance, a cependant des limites. D'une part, elle occulte en partie la réalité, massive, de la pauvreté non assistée dans les pays du Sud. Celle-ci est une condition de masse, faite d'incertitude matérielle quotidienne, d'une absence d'accès aux biens et services pourtant connus grâce à différents canaux (médiatiques notamment) et d'une exposition à des pathologies liées à la pauvreté (insalubrité, malnutrition…) bien plus souvent causées par des facteurs autant politiques que « naturels ». La pauvreté absolue concerne, au début de la décennie de 2010, 1,3 milliard d'habitants de la planète. Ils vivent dans le dénuement, disposant de moins de 1 euro par personne et par jour ‒ en pouvoir d'achat des pays développés ‒ pour subsister, et 80 p. 100 d'entre eux vivent dans la péninsule indienne ou sur le continent africain. D'autre part, cette vision « relationnelle » ne prend que partiellement en compte les rapports de pouvoir à l'œuvre dans le traitement des pauvres. Ainsi, dans les pays dont l'organisation socio-économique est la plus libérale, la majorité des pauvres travaillent et ne sont pas assistés. Pour comprendre ce dernier point, il est possible de se pencher sur les travaux réalisés dans le contexte américain.
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Écrit par
- Nicolas DUVOUX : maître de conférences en sociologie au Centre de recherche sur les liens sociaux, université de Paris-V-René-Descartes-Sorbonne
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