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PAUVRETÉ SOCIOLOGIE DE LA

La pauvreté est-elle le fait de la culture des pauvres ?

L’anthropologue Oscar Lewis (La Vida : A PuertoRicanFamily in the Culture of Poverty, San Juan and New York, 1966) a défini le concept de culture de la pauvreté comme un ensemble de normes et d’attitudes ayant pour effet d’enfermer les personnes dans ce qui, à l’origine formé en réaction à des circonstances extérieures défavorables, perpétue, en se transmettant de génération en génération, l’état de pauvreté, quelle que soit l’évolution des circonstances. Devant vivre au jour le jour, les pauvres se replient sur le présent ; n’ayant que peu d’opportunités de promotion sociale, les pauvres abaissent leurs aspirations ; les hommes ne pouvant nourrir leurs foyers, ceux-ci sont tenus par les femmes, etc. Par la suite, les enfants s’appropriant ces modes de vie et attitudes, l’adaptation aux circonstances extérieures se transformerait en un mode de vie pérenne qui interdirait aux descendants de profiter d’une éventuelle transformation des circonstances extérieures. Cette thèse a fait l’objet de débats passionnés, parce que, en proposant une définition de la culture, elle s’inscrivait au cœur d’enjeux théoriques âprement discutés. Peu présentes en France, les analyses étudiant les aspects culturels de la pauvreté ont aussi trouvé un grand développement en Angleterre, avec le livre classique de Richard HoggartLa Culture du pauvre (The Uses of Literacy, 1957), qui a bien mis en lumière l'opposition entre le « nous » des catégories populaires et modestes et le « eux » du reste de la société, perçu comme oppressif. Une forme de dépossession et de séparation caractérise ces catégories dans la société moderne.

Cependant, c’est en raison de ses enjeux politiques que la culture de la pauvreté a suscité le plus de passions. En effet, quoi qu’Oscar Lewis lui-même en ait pensé, s’il est difficile de ne pas constater la spécificité des comportements, des attitudes et des valeurs des pauvres, il est sans doute encore plus difficile, pour des intellectuels progressistes, d’accepter l’idée que, puisque ce n’est pas le déficit d’opportunités qui explique la pauvreté mais bien la culture, même une meilleure offre institutionnelle n’améliorerait pas la situation des pauvres. Elle contiendrait donc une incitation au fatalisme, sinon une tendance à « blâmer la victime », selon l’expression consacrée à l'occasion des débats américains, en plaçant en elle les mécanismes producteurs de sa situation défavorisée quand il ne s’agit pas tout simplement de naturaliser les comportements d’un groupe ethnique. On peut voir une telle utilisation politique, notamment, dans la publication du rapport de Daniel Patrick Moynihan, The Negro Family. TheCase for NationalAction (1965). L’ambition de Moynihan était d’expliquer comment l’esclavage avait conduit à une désagrégation des institutions de la communauté noire. La désorganisation sociale constatée dans les inner-cities (ghettos) était due, selon lui, à la dissolution des institutions de la communauté noire, au premier rang desquelles la famille, dans laquelle les femmes tenaient de plus en plus le premier rôle. Or l’idée d’une sous-culture des Noirs du ghetto a fait l’objet d’une récupération systématique par la critique conservatrice de l’État-providence qui est devenue dominante. Cette interprétation culturaliste de la pauvreté s’est diffusée de concert avec la rhétorique conservatrice de l’ère Reagan, qui réaffirmait les valeurs morales de l’Amérique. La culture de la pauvreté est devenue la culture du welfare, une assistance sociale très restrictive et très stigmatisante, à mesure que celui-ci était critiqué. Pour les critiques du welfare, les chèques de l’assistance, considérés comme un dû par des populations ayant perdu tout sens de la responsabilité sociale,[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en sociologie au Centre de recherche sur les liens sociaux, université de Paris-V-René-Descartes-Sorbonne

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<em>Applicants for Admission to a Casual Ward</em>, L. Fildes - crédits : AKG-images

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