SOCIOLOGIE DE LA SANTÉ
Sociologie des maladies chroniques : organisation du travail médical et trajectoire de maladie
L’approche parsonienne de la maladie, élaborée à partir des situations de maladies aiguës d’origine infectieuse, se révèle inopérante pour rendre compte des transformations liées à la place de plus en plus importante prise par les maladies chroniques et dégénératives. Avec la survie sur le long terme en dépit de maladies autrefois incurables, les malades sont confrontés à des problèmes relatifs à leur prise en charge médicale dans et hors de l’hôpital et à leur réinsertion dans le monde « normal ». Analysant dans une perspective interactionniste les processus sociaux à l’œuvre dans la maladie chronique, Anselm Strauss élabore la notion de « trajectoire de maladie » pour rendre compte de l’organisation du travail mise en œuvre depuis le diagnostic et tout au long de l’évolution du cours de la maladie pour la contrôler. Cette organisation du travail, qui exige une coopération entre plusieurs groupes professionnels au sein et à l’extérieur de l’hôpital, mais aussi la participation active du malade (et de son entourage) au suivi de sa maladie, ne peut fonctionner sans que s’instaurent des relations de négociation entre les différents acteurs. S’inscrivant dans la perspective de recherche ouverte par Strauss, Isabelle Baszanger développe l’idée que la situation de maladie chronique doit être analysée dans toutes les dimensions de la vie sociale du malade et dans toutes les perturbations qu’elle entraîne au sein des différents mondes sociaux auxquels il participe. En d’autres termes, le processus de normalisation sociale suivant la phase initiale de traitement à l’hôpital (reprise d’une activité professionnelle ou retour à l’école s’il s’agit d’un enfant) n’est jamais un retour à la situation d’avant la maladie, car celle-ci reste au cœur des rapports que les malades entretiennent avec leur famille, leurs amis, leurs collègues de travail. D’où l’idée problématisée par Michael Bury en 1982 que, par ses conséquences mêmes, la maladie chronique est à l’origine d’une recomposition identitaire du sujet malade. La problématisation par Erving Goffman de la question du « stigmate » a inspiré des études sur l’incidence des marques de la maladie sur la vie sociale du malade selon qu’elles sont visibles (fauteuil roulant, perte des cheveux, etc.) ou susceptibles de se dévoiler (épilepsie par exemple). Ou encore selon que la maladie peut ou non faire l’objet d’une condamnation morale. Question revenue au premier plan avec l’épidémie du sida, où, comme l’a montré Michael Pollak pour les porteurs du V.I.H., stigmate et maintien du secret sur la contamination sont étroitement liés et pèsent sur la gestion de la vie quotidienne. De nombreuses recherches ont enrichi l’analyse des trajectoires, mettant en lumière ce qu’elles devaient aux spécificités des pathologies et de leurs traitements, mais aussi aux différences liées au genre, aux classes d’âge et à l’appartenance sociale des malades. Toutefois, on peut regretter, dans nombre de ces travaux, une tendance à analyser les trajectoires de maladies en faisant comme si l’entrée dans la maladie chronique constituait un tel moment de rupture avec le passé du malade que le sociologue pouvait faire l’impasse sur « l’avant ». Alors que s’intéresser à l’histoire du malade, et particulièrement à sa socialisation préalable au monde médical (à travers son éducation et ses expériences concrètes), permettrait de dégager des éléments pertinents pour comprendre la manière dont il va gérer sa maladie.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Patrice PINELL : directeur de recherche émérite
Autres références
-
FASSIN DIDIER (1955- )
- Écrit par Juliette FROGER-LEFEBVRE
- 1 211 mots
- 1 média
...sciences sociales et entreprend un diplôme d’études approfondies (DEA) en anthropologie. Puis, sous la direction de Georges Balandier, il poursuit une thèse de sociologie sur les transformations du marché de la santé dans une banlieue de Dakar, au Sénégal. En 1989, il enquête en Équateur sur les programmes... -
PSYCHOLOGIE DE LA SANTÉ
- Écrit par Marilou BRUCHON-SCHWEITZER
- 3 943 mots
- 1 média
Les déterminants sociaux de la santé sont les conditions dans lesquelles les individus naissent, vivent, travaillent, vieillissent, incluant le système de santé. En partie responsables des inégalités de santé, ils ont donné lieu à des initiatives comme « Combler le fossé : de la politique à l’action... -
CONCEPT DE SANTÉ
- Écrit par Élodie GIROUX
- 6 801 mots
- 3 médias
...individuel et biologique. Ce modèle contribue à envisager l’individu et son mode de vie comme principaux responsables de sa santé. Prendre en compte les déterminants sociaux permettrait donc paradoxalement, à la fois de contrer ce modèle réductionniste qui néglige les déterminants sociaux et les enjeux... -
SANTÉ - Le système de santé français
- Écrit par Encyclopædia Universalis , Chantal GUÉNIOT et Jean-François NYS
- 7 390 mots
- 7 médias
Une médecine à deux vitesses ? Des freins à un libre accès aux soins existaient déjà pour les personnes ne bénéficiant pas d'une assurance complémentaire généreuse. Ils étaient représentés notamment par le ticket modérateur (fraction des soins non remboursée par la Sécurité sociale) et par les dépassements...