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SOCIOLOGIE DE LA SANTÉ

Médecins, médicalisation, politiques de santé

Si l’on retrouve à propos de la médecine tous les débats qui traversent la sociologie des professions, les analyses dont la postérité est la plus grande sont sans doute celles d’Eliot Freidson et d’Anselm Strauss. Le premier invite à une critique sociale de la médecine en s’opposant au fonctionnalisme de Parsons. Contestant l’idée que la médecine soit devenue une profession simplement sous l’effet du progrès scientifique et de la division accrue du travail, il montre la nature politique du processus conduisant l’État à accorder aux médecins le monopole de l’exercice de la médecine et du contrôle de leurs pratiques. Ce privilège est obtenu à la fin du xixe siècle parce que les médecins ont assis leurs connaissances et leurs techniques de guérison sur la science, mais aussi parce qu’ils sont parvenus à persuader les autorités publiques de leur supériorité en disqualifiant du même coup celles de leurs concurrents guérisseurs. Ce travail politique de persuasion, les médecins devront collectivement le réaliser auprès du public sur deux questions : le convaincre de leur supériorité technique et morale sur les « charlatans » et, plus important encore, lui faire accepter l’idée que la meilleure garantie des compétences et du sérieux des médecins réside dans le contrôle du milieu professionnel sur les activités de chacun d’entre eux. Pour Freidson, c’est ce contrôle par les pairs qui, plus que toute autre chose, est au fondement du pouvoir professionnel et fonde l’autonomie de la profession. Ce faisant, il est une source de problèmes, car, en l’absence d’instance extérieure de contrôle, rien ne vient corriger la tendance des élites médicales à sortir du cadre de leurs compétences techniques et à faire jouer leur autorité scientifique pour peser sur les orientations des politiques de santé et à s’annexer ainsi un pouvoir sur le terrain politique. Ce qui intéresse Strauss dans la profession médicale se situe sur un autre plan, celui de l’hétérogénéité : il n’existe pas un corps médical unifié autour des intérêts communs à ses membres mais différents groupes professionnels spécialisés dont les pratiques, les objectifs et les intérêts sont distincts et spécifiques. Autrement dit, la profession est un assemblage de « segments » professionnels relativement autonomes, engagés dans des luttes de concurrence les uns avec les autres pour se constituer une clientèle ajustée aux services spécialisés qu’ils proposent et faire reconnaître socialement la légitimité de leurs pratiques. D’où l’importance, sur ce fond de luttes de concurrence, des logiques de négociation entre groupes seules capables de parvenir à la définition de leurs domaines de légitimité et de leurs intérêts communs. À la croisée des questions de pouvoir médical et de spécialisation, le thème de la médicalisation de comportements déviants et/ou de questions sociales donne lieu à des analyses décrivant la propension des médecins à user de leur pouvoir symbolique et social pour s’arroger un rôle déterminant dans le traitement de problèmes qui étaient jusque-là en dehors du domaine reconnu de leur compétence. Et de se constituer ainsi, par cette médicalisation, un nouveau domaine d’intervention.

Si la sociologie des professions domine à l’échelle internationale les analyses sur le corps médical, les modes d’exercice de son pouvoir dans la société comme sur la formation des spécialités, d’autres chercheurs ont proposé des approches tenant davantage compte d’une diversité d’un monde médical qui ne se réduit pas au seul domaine de la clinique. Ainsi, penser la médecine en s’inspirant de la théorie des champs de Pierre Bourdieu conduit à analyser autrement le développement de ses domaines d’interventions et plus largement les transformations qu’elle connaît au[...]

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