PROFESSIONS SOCIOLOGIE DES
Dès 1893, Émile Durkheim annonçait, dans De la division du travail social : « Un jour viendra où notre organisation sociale et politique aura une base exclusivement ou presque exclusivement professionnelle. » Si l'on observe au microscope l'une quelconque des sociétés occidentales d'aujourd'hui, on constate que les appartenances professionnelles occupent une place centrale non seulement dans les processus de socialisation et dans les dynamiques d'insertion sociale des individus, mais aussi dans le positionnement relatif de chacun au sein de l'espace social : pour la plupart des êtres humains adultes, la profession qu'ils exercent est ainsi une composante majeure de leur identité sociale, et même individuelle. Quant à l'observation au macroscope, elle donne à voir une société hautement différenciée, au sens de Max Weber, dont les divers segments sont autant de sphères d'activités socio-économiques avec une structuration qui doit souvent beaucoup à une ou quelques professions identifiées et donatrices d'identité collective. Depuis le xxe siècle, nos gouvernants prennent d'ailleurs en charge les problèmes collectifs et développent leurs politiques publiques sur cette base d'une division de nos sociétés en « secteurs » (Bruno Jobert, Pierre Muller, 1987) qui sont autant de territorialités thématiques, que reflète l'organisation des appareils d'État en ministères, et dans lesquelles se déploie l'activité de groupes professionnels spécialisés et interdépendants souvent reconnus comme les « partenaires » d'un gouvernement sectorisé. Ainsi, quelque perspective que l'on adopte, à partir du social, de l'économique ou du politique, du point de vue de l'individu ou du collectif, les professions s'imposent comme une pièce maîtresse de l'architecture du monde contemporain.
Toutefois, ces remarques introductives jouent de la polysémie du terme « profession », qui admet en français plusieurs significations distinctes mais qui toutes relèvent du registre du langage ordinaire, alors qu'a contrario la langue anglaise donne au terme une définition plus restrictive et l'a érigé en catégorie de l'entendement sociologique. Aussi convient-il de rendre justice à la richesse de la sociologie anglophone des professions, avant de rendre raison du positionnement compliqué de la sociologie française à l'égard de cet objet, passé du déni à la (re)découverte.
La notion de profession
En français, le mot profession revêt quatre significations principales, comme l'expliquent Claude Dubar et Pierre Tripier. La première, et la plus ancienne, a peu à voir avec l'univers du travail : c'est celle que l'on trouve dans l'expression « faire profession de... », qui désigne l'affirmation publique de ses convictions philosophiques, religieuses ou politiques. Le mot profession est aussi utilisé comme un équivalent dans la langue soutenue et dans les documents administratifs de ce que le langage ordinaire appelle « métier », à savoir l'activité de travail dont un individu tire ses moyens de subsistance. En ce sens, coiffeuse, caissière ou agent commercial sont des professions aussi bien que magistrat ou gérant de société. Le terme prend un troisième sens quand il désigne les groupes d'individus qui exercent un métier identique que subsume un même « nom de métier » (cf. William H. Sewell, 1980) : la profession médicale, les enseignants, les militaires, les ébénistes, etc. Il s'agit de groupes « en soi » et « pour soi », conscients de leur commune identité professionnelle. Une quatrième acception du terme, bien plus vague, désigne tous les acteurs qui, quel que soit leur statut (patrons, salariés de tous niveaux hiérarchiques, travailleurs indépendants), travaillent dans une même « branche professionnelle » (notion consacrée par le droit des conventions collectives) ou un même[...]
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Écrit par
- Jean-Michel EYMERI-DOUZANS : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Toulouse, directeur du laboratoire des sciences sociales du politique
Classification
Médias
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