PROFESSIONS SOCIOLOGIE DES
La sociologie anglo-américaine des professions
C'est durant l'entre-deux-guerres que les universitaires de Grande-Bretagne, puis des États-Unis, ont donné naissance à une tradition de recherches consacrée à cet objet particulier, dont on peut dresser un portrait idéal type en mêlant aux définitions canoniques données dans les articles d'Abraham Flexner (1915) et de Harold L. Wilensky (1964) les apports plus récents d'Eliot Freidson (1986) et d'Andrew Abbott (1988).
Une profession est :
a) une activité de travail rémunérée à temps plein dont l'exercice est réglementé et l'accès réservé par la loi (numerus clausus) à des individus maîtrisant un riche corpus de savoir abstrait acquis, en même temps qu'un ensemble de schèmes éthiques et de valeurs, au cours d'une formation initiale longue de nature académique sanctionnée par un diplôme qui garantit la qualité de cette socialisation professionnelle ;
b) un savoir théorique opérationnalisé par le professional qui, au contraire du chercheur pour qui le savoir est une fin en soi, est un praticien qui se sert du savoir comme moyen de résoudre les problèmes concrets et circonscrits de ses clients profanes, faisant du savoir un instrument de pouvoir sur le monde social ;
c) le tout dans le cadre d'une auto-organisation de la profession en une association reconnue par les autorités et qui garantit la clôture sociale du groupe, établit son code de déontologie, assure sa police intérieure et défend ses intérêts collectifs veillant ainsi au maintien du prestige social (dignity) qui s'attache à une activité de service ayant une dimension d'altruisme qui la distingue des activités mercantiles.
Ces traits caractéristiques ont fait l'objet d'une élaboration progressive. C'est en 1930 qu'Alexander M. Carr-Saunders et Paul Wilson publièrent une première grande synthèse, The Professions, à la fois histoire sociale des corporations et des professions en Angleterre depuis la Renaissance et premier essai de systématisation théorique. L'ouvrage insiste en particulier sur les mérites d'une extension du rapport professionnel au détriment du rapport salarial de travail, le premier assurant la liberté et la dignité des partenaires, donc la paix sociale, alors que le second, inscrit dans un rapport de domination capital-travail, est fauteur de lutte des classes.
Cette inspiration se retrouve lors de l'étape suivante d'élaboration théorique qu'est le structuro-fonctionnalisme de Talcott Parsons. L'ambitieux sociologue accorde, dans sa conception d'ensemble du « système social », une place d'importance aux professions, qu'il réduit au droit, à l'enseignement, aux sciences de l'ingénieur et à la médecine, et qu'il consacre comme exerçant une fonction de contrôle social prééminente dans plusieurs « sous-systèmes » majeurs, fonction qui lui semble être pleinement en phase avec la dynamique des sociétés contemporaines, à savoir l'utilisation méthodique des acquis scientifiques aux fins d'améliorer le bien-être des membres de la société.
De façon concurrente, au sein de l'école de Chicago, qui est à l'origine de l'important courant de la sociologie interactionniste, se développe dès l'entre-deux-guerres et plus encore dans les années 1950 une série de travaux originaux marqués par une visée critique à l'égard du fonctionnalisme et de sa propension à entériner les divisions du monde social, notamment entre « simples » occupations et professions constituées. Avec pour mentors Robert Park d'abord, puis surtout Everett Hughes (auteur de l'important Men and their Work, 1958), plusieurs chercheurs de cette école ont ainsi réalisé l'étude de terrain, à forte composante ethnographique, des dynamiques à l'œuvre dans divers « groupes[...]
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Écrit par
- Jean-Michel EYMERI-DOUZANS : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Toulouse, directeur du laboratoire des sciences sociales du politique
Classification
Médias
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