PROFESSIONS SOCIOLOGIE DES
La sociologie française et les professions
En dépit des raisonnements précurseurs de Durkheim, la notion de profession a ensuite été délaissée par notre tradition sociologique, tandis que l'I.N.S.E.E. organisait cette singularité française d'une mise en cases, en ordre et en sens de notre population dans et par une nomenclature des « catégories socioprofessionnelles » (C.S.P.), devenues « professions et catégories sociales » (P.C.S.). Il faut dire que la sociologie du travail ayant pris son essor autour de Georges Friedmann dans l'après-guerre fordiste-tayloriste, c'est Le Travail en miettes (1956) de l'ouvrier à la chaîne qui s'est trouvé au cœur de ses problématiques, laissant peu de place à un questionnement sur les savoirs experts des cols blancs. Au-delà, c'est sans doute la prévalence du marxisme et de sa lecture classiste des rapports de production qui a longtemps scellé l'ignorance par les sociologues français d'une tradition qui, s'attachant à des « groupes de statut » au sens de Max Weber – car telles sont bien les professions américaines –, semblait se fourvoyer dans l'étude de « faux objets ». Quant à ce courant riche d'échanges avec les États-Unis qu'est la sociologie des organisations, animée par Michel Crozier, sa propension à laisser seul à seul « l'acteur » stratège et « le système » organisationnel sans considération des groupes et des collectifs d'appartenance des individus sociaux était peu propice à fournir un relais à la sociologie des professions.
Si l'on excepte la très importante thèse, publiée en 1982, que Luc Boltanski a consacrée à la formation socio-historique du groupe social français des cadres et aux mécanismes de représentation qui l'ont rendu possible, c'est en fait dans la sociologie de l'administration et la science politique naissante des années 1960-1970 que l'on trouve des travaux qui, sans se référer au corpus notionnel de la sociologie anglophone des professions, partagent de fait son programme de recherches. Ce n'est pas surprenant car la France présente cette singularité que ses administrations sont structurées en corps administratifs, grands corps et moins grands corps d'État, qui sont une survivance dans la sphère publique des corporations d'état supprimées dans la société civile à la Révolution, et qui présentent maints traits communs avec les professions anglo-américaines. Qu'il s'agisse de travaux d'inspiration critique (Alain Darbel, Dominique Schnapper, Pierre Bourdieu), élitiste (Pierre Birnbaum) ou wébérienne (Marie-Christine Kessler, Jean-Claude Thoenig, Dominique Chagnollaud, Luc Rouban), une série d'ouvrages a ainsi été consacrée aux corps de l'administration, particulièrement à ceux de la « noblesse d'État » et des « technocrates » qui, situés aux « sommets » de la pyramide, constituent le « premier des ordres », plutôt qu'à celui des agents de base, trop négligés par l'analyse.
Quant à la sociologie dans son ensemble, c'est depuis les années 1980 que s'est produit un mouvement de découverte des œuvres anglophones, sous l'impulsion d'initiateurs tels les sociologues de la médecine Claudine Herzlich (introductrice de la pensée de Freidson en France) et Isabelle Baszanger (traductrice et présentatrice d'Anselm Strauss), très axées sur l'interactionnisme, ou Claude Dubar, qui déploie des synthèses plus larges. De façon congruente, l'étude des groupes professionnels s'inscrit à l'agenda de recherche de la sociologie française : c'est ainsi qu'à partir de la publication en 1984 du Phénomène corporatiste par Denis Segrestin se succèdent des travaux de plus en plus nombreux, portant aussi bien sur les cheminots que sur la marine marchande,[...]
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Écrit par
- Jean-Michel EYMERI-DOUZANS : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Toulouse, directeur du laboratoire des sciences sociales du politique
Classification
Médias
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