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RURAUX SOCIOLOGIE DES

La diffusion des modèles urbains

Depuis les années 1960, les distances physiques et culturelles entre les villes et les campagnes se sont considérablement réduites. La civilisation paysanne s'est définitivement effacée sous la poussée de l' urbanisation, l'essor des échanges économiques, l'extension des moyens de transport et des réseaux de communication. L'agriculteur, qui revendiquait sa part de progrès, en en appelant à la parité pour que « l'eau sur l'évier, la machine à laver, une habitation confortable, les vacances deviennent des objectifs communs » (Michel Debatisse, La Révolution silencieuse), a eu gain de cause : les lois de 1960-1962 ont fixé les modalités de la modernisation, promu un modèle d'exploitation spécialisée et intensive, et fait de l'exode rural une des conditions de la prospérité agricole. À l'orée des années 1970, un nouveau phénomène s'est ajouté à cette dynamique : les citadins ont « redécouvert » les vertus d'une vie à la campagne, et la « rurbanisation » a partiellement compensé l'érosion démographique qui rongeait le tissu rural. Minoritaires dans la société globale, les agriculteurs le sont ainsi bientôt devenus dans leurs propres communes, au point que le fameux seuil des « deux mille habitants agglomérés au chef-lieu » ne permettait plus de saisir les configurations sociales et culturelles du monde paysan.

Si, aujourd'hui, la consommation des ménages peut laisser croire que l'urbanisation des modes de vie s'est généralisée, il reste à s'assurer que, compte tenu des particularités de leur métier, les agriculteurs sont bel et bien parvenus à se défaire des contraintes qui, hier encore, pesaient sur leur univers quotidien. En forgeant des indicateurs plus synthétiques de la ruralité, de façon à contourner la faiblesse inhérente à l'énoncé d'un seuil numérique, l'I.N.S.E.E. a récemment renouvelé sa typologie communale et redonné au monde agricole la place qui lui revenait dans l'espace géographique et la dynamique socio-économique qui anime la société globale. Mais les abstractions statistiques ont l'inconvénient de dresser des frontières étanches entre catégories ; si bien que, entre l'illusion du « tout-est-urbain » et l'arbitraire d'un classement qui confère à des groupes nominaux l'apparence d'identités collectives réelles, les modes de vie des exploitants agricoles ne s'offrent pas facilement à l'analyse.

Jusqu'à la fin des années 1960, l'acquisition d'un poste de télévision, d'un réfrigérateur, d'un aspirateur ou d'une machine à laver n'était pas chose courante pour le paysan. Celui-ci n'était pas davantage consommateur de biens culturels ou de loisirs, et il était rare qu'il partît en week-end ou en vacances. Au-delà des contraintes proprement économiques qui limitaient objectivement ses choix, et par-delà l'argument qui lui servait à justifier ses pratiques (« les servitudes de la profession »), le paysan semblait prisonnier de son éthos de classe : méfiant à l'égard de tout ce qui symbolise la culture citadine, il préférait affecter ses dépenses à l'exploitation familiale. Pierre Bourdieu pouvait alors voir dans la paysannerie une « classe objet », dominée et manipulée par la société bourgeoise urbaine.

Le diagnostic résiste mal à l'épreuve des faits. La société paysanne paraît douter de ses propres valeurs, puisqu'elle ne semble plus en mesure d'imposer à ses membres les normes de conformité qui anéantissent la « tentation de se différencier par l'imitation du citadin ». Les agriculteurs sont en effet quatre fois plus nombreux que par le passé à partir en vacances ; et, s'ils se montrent toujours plus économes que les autres catégories sociales, l'équipement ménager[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences de sociologie à l'université de Bordeaux-II.
  • : directeur de recherche émérite au C.N.R.S.

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Rapport population rurale/population totale - crédits : Encyclopædia Universalis France

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