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TRAVAIL SOCIOLOGIE DU

Entendue comme un champ académique institué, la « sociologie du travail » est d'origine française et de d’apparition récente. On peut en dresser l'acte de naissance avec la parution, en 1946, des Problèmes humains du machinisme industriel de Georges Friedmann. Ceux-ci suscitèrent l'adhésion enthousiaste d'un groupe de jeunes chercheurs qui purent, grâce à la logistique assurée par la création, cette même année 1946, d'un Centre d'études sociologiques (CES) au sein du tout jeune Centre national de la recherche scientifique (CNRS), entamer, sous la direction de Friedmann, des enquêtes « de terrain » dans l'industrie. Mais la sociologie du travail ne disposa d'un espace institutionnel propre qu'avec la création, en 1959, de la revue éponyme par quatre disciples de Friedmann : Michel Crozier, Jean-Daniel Reynaud, Alain Touraine et Jean-René Tréanton. Enfin, la publication en 1961-1962, sous la codirection de Georges Friedmann et de Pierre Naville, d'un Traité de sociologie du travail, qui fit référence pendant quarante ans, acheva la reconnaissance académique en France de cette sous-discipline. Celle-ci occupe alors une place centrale dans la sociologie française, à la mesure de la centralité accordée au travail lui-même dans le fonctionnement et la reproduction de la société. Bien plus que l'étude d'un champ particulier du social, la sociologie du travail a, dans son âge d'or des années 1960, vocation à constituer une sociologie générale. Réciproquement, sa crise présente est coextensive à la mise en cause de la centralité sociale du travail, qui a marqué les débats depuis les années 2000.

Toutefois, si le cadre intellectuel de la sociologie française du travail a été adopté ailleurs dans le monde (principalement dans l'espace latin : Italie, Espagne, Amérique latine), il n'a pas un caractère universel. Ainsi, on trouve en ses lieu et place dans les pays anglo-saxons une « sociologie industrielle » (industrialsociology), et cette nuance n'est pas sans importance. Au-delà de la « sociologie du travail » stricto sensu, il convient donc de s'interroger sur le traitement sociologique de la question du travail, ce qui nécessite de couvrir un temps et un espace plus larges.

De la question sociale à l'organisation scientifique du travail

La question du travail et la genèse de la pensée sociologique

La sociologie s'est toujours préoccupée de la question du travail. La mutation profonde, au xixe siècle, des formes techniques et du statut social du travail participe à la genèse même de la sociologie, en rupture avec l'économie politique. Au xviiie siècle, les penseurs du progrès, philosophes et économistes, étaient convaincus que la libéralisation des échanges et la suppression du despotisme suffiraient à garantir la prospérité publique et l'ordre social. Dès le début du xixe siècle, cette pensée libérale fut mise à l'épreuve de la révolution industrielle, qui générait de nouvelles classes pauvres urbaines, perçues comme mettant en péril l'équilibre général de la société. Pour nombre de penseurs sociaux de la première moitié du xixe siècle, l'économie politique se révélait donc incapable de réaliser ses promesses. Les auteurs contre-révolutionnaires furent les premiers à tenir un tel discours ; au rationalisme individualiste du xviiie siècle, ils opposèrent une conception de la société comme un être en propre, un corps organique, dont il fallait connaître les lois, sous peine de voir la terreur révolutionnaire faire retour. De Comte à Durkheim, en passant par l'organicisme social, la sociologie naissante doit beaucoup à cette pensée contre-révolutionnaire, qui rendait possible une science holiste du social.

Le nouvel ordre social qui succède à la Révolution française fait apparaître[...]

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Écrit par

  • : professeur de sociologie à l'université de Paris Nanterre, co-directeur du master de sciences économiques et sociales

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Médias

Alexis de Tocqueville (1805-1859) - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Alexis de Tocqueville (1805-1859)

Saint-Simon - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Saint-Simon

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Grève des métallurgistes au Creusot, 1870

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