TRAVAIL SOCIOLOGIE DU
Un nouvel ordre mondial du travail
Au xxie siècle, les thématiques développées ne bouleversent pas fondamentalement le paysage théorique de la sociologie du travail, qui s’est en quelque sorte stabilisé à la fin du siècle précédent avec l’extension de son champ de compétence. Mais les questionnements ont été reformulés à nouveaux frais dans le contexte général de la transformation des sociétés à l’échelle mondiale.
La question des inégalités liées au travail a fait l’objet de débats complexes, puisque le problème se joue à deux niveaux entrecroisés : celui des inégalités au sein des nations et celui des inégalités entre nations dans un contexte de division internationale du travail. Une partie des nations longtemps considérées comme relevant du « tiers-monde » ont connu une industrialisation rapide qui s’est accompagnée d’une amélioration indiscutable des conditions d’existence d’une partie, au moins, de leur population, mais aussi de l’émergence de nouvelles grandes fortunes renforçant le poids d’un capitalisme mondialisé. La question salariale, longtemps considérée à l’échelle des nations, se pose maintenant à l’échelle internationale.
En effet, un nouveau modèle a été développé pour tenter de freiner l’immigration de travail depuis les pays à plus bas salaires : l’implantation, à la frontière sud des États-Unis (Mexique, Amérique centrale) ou de l’Europe (Turquie, Maghreb), d’usines orientées vers l’exportation. Ce modèle – qui a conduit au développement industriel de l’Asie du Sud-Est, de la Chine, mais aussi de la Turquie ou encore du Maroc – répond aussi souvent à un objectif explicite : réduire l’immigration de travail dans les pays occidentaux.
Comme le montre le cas de la Chine, on peut assister à une montée en puissance technologique et économique de ces nouveaux pays industriels qui, dès lors, concurrencent les pays anciennement industrialisés. La désindustrialisation marquée en Amérique du Nord comme en Europe de l’Ouest a provoqué inquiétudes sociales et sentiment de « déclassement », dont témoignent le vote des « cols bleus » – qui a assuré la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine de 2016 – ou le mouvement des « gilets jaunes » en France en 2018.
Cette configuration historique impose à la sociologie de penser les rapports sociaux de travail à l’échelle du monde. Contrairement à ce que l’on s’imagine parfois, on assiste en effet, non à une régression, mais à une amplification sans précédent du salariat. Celle-ci est souvent interprétée, du point de vue des anciennes sociétés industrielles, comme un processus de délocalisation. Pourtant, à cette « délocalisation » pour les uns correspond une « localisation » pour les autres… et cette dynamique, qui se joue désormais à l’échelle mondiale, est aussi ancienne que le capitalisme. Les tensions géopolitiques actuelles conduisent certains à imaginer une possible « démondialisation », mais la question est à analyser au-delà des avatars des relations internationales : il est de plus en plus évident que les destins de l’ensemble des habitants de la planète sont liés, ne serait-ce que dans le registre écologique ; et, en dépit des tensions, c’est bien à l’extension d’une civilisation industrielle mondiale, où le salariat devient la modalité de référence de régulation des rapports sociaux de travail, qu’on assiste.
Si le salariat se développe dans de nombreuses zones de la planète où il était encore marginal dans les années 1970, il n’a pas disparu pour autant dans les sociétés occidentales, où il reste hégémonique, représentant 90 % de la population active. Mais ce salariat, principalement « tertiaire », s’est dissocié de son cadre fondateur qui était le développement industriel – en cours, en revanche, ailleurs sur la planète.[...]
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Écrit par
- François VATIN : professeur de sociologie à l'université de Paris Nanterre, co-directeur du master de sciences économiques et sociales
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Médias
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