SOCIOLOGIE Les grands courants
Les sociologies de l'identité
Ce dernier ensemble de « courants » se distingue des précédents par le fait que la relation entre « structures » sociales et « agents individuels » devient ici problématique. La modernité multipliant les situations incertaines, les chocs biographiques, les mobilités, les schémas déterministes ou actionnalistes ne sont plus pertinents. Plus aucun mécanisme régulateur, aucune coconstruction du système et de l'acteur n'est assurée. Au contraire, c'est l'existence d'identités multiples d'acteurs et de systèmes très divers qui justifie le fait que ces nouvelles sociologies accordent une priorité à la mise en récit, par des auteurs, d'actions communes redéfinies comme des interactions structurantes ou des accomplissements pratiques.
L'interactionnisme symbolique
Qualifiant ceux qu'on appelle parfois les sociologues de la « seconde école de Chicago » (Everett C. Hughes, Anselm Strauss, Howard Becker, Erving Goffman) et leur nombreuse postérité, le terme interactionnisme symbolique a été inventé par Herbert Blumer (1900-1987), qui est radicalement opposé au fonctionnalisme et qui propose une thèse alternative au culturalisme (très présent dans la première école de Chicago). L'interprétation que les individus donnent de leur action, ce que William Thomas (1863-1947) avait appelé « la définition de la situation », est au cœur de ce courant liant sociologie et anthropologie sociale pratiquant l'immersion de longue durée sur un « terrain ».
Pour Thomas et ses successeurs, l'analyse sociologique doit partir des significations que les individus attribuent à leurs actions. Non pas des « modèles » préétablis (comme l'intérêt ou les valeurs dans l'individualisme méthodologique) mais des interprétations de situations concrètes. Or ces situations sont faites d'interactions entre plusieurs personnes dont les interprétations sont, selon l'expression d'Erving Goffman (1922-1982), « des relations syntaxiques qui unissent les actions des diverses personnes mutuellement en présence » (1974).
Ainsi, le « social » n'est abordé ni à partir de structures (niveau macrosociologique), ni à partir des individus (niveau microsociologique), mais à partir des interactions face à face au sein d'un cours d'action situé (niveau « mésosociologique ») et des significations diverses qui en sont donnés par les participants. Parmi celles-ci, la question de l'identité, des rapports aux rôles, du maintien de la face sont, selon Goffman, au cœur de cette dramaturgie que constitue une rencontre ou, a fortiori, une action commune. La vie sociale est un théâtre dont les acteurs jouent des rôles multiples et doivent, en dépit de cette diversité, se faire reconnaître pour eux-mêmes, comme personne unique (la face). L'identité n'est pas définie ici comme une substance ou un objet mais comme un processus relationnel et biographique, à la fois un cadre (frame) et un soi (self).
Car, avec la modernité, la question de l'identité (qui suis-je ?) est devenue problématique. Entre l'identité « virtuelle » (attribuée par autrui) et l'identité « réelle » (revendiquée par soi), les écarts sont fréquents et provoquent des traumatismes, des discriminations (stigmatisation) et des stratégies identitaires pour les réduire (Goffman, 1962). Connaître ces stratégies, en observant et en interrogeant les sujets concernés, c'est permettre de relier les définitions de la situation d'interaction aux trajectoires subjectives qui éclairent le sens de ces stratégies.
Cette problématique de la construction identitaire à partir des attributions par autrui et de leur prise en charge, sous des formes diverses, doit beaucoup à la redécouverte des travaux de George Herbert Mead (1863-1931), et notamment sa[...]
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Écrit par
- Claude DUBAR : professeur d'Université, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, fondateur du Laboratoire Printemps (professions, institutions, temporalité), U.M.R. 8085 du C.N.R.S.
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