SOCIOLOGIE Les méthodes
Du traitement de l'information à l'interprétation sociologique
Le recueil de données n'est jamais indépendant d'une problématique théorique qui l'oriente et lui donne sens. Aussi la distinction entre la production et l'interprétation des faits peut-elle sembler en grande partie artificielle. Pourtant, il est utile de distinguer la problématique et les hypothèses théoriques en premier lieu, le dispositif de production des faits ensuite et, pour finir, leur interprétation, qui fait retour sur la problématique et les hypothèses initiales afin de les renforcer ou, au contraire, de les corriger voire de les invalider. Dans le contexte de données statistiques, il convient même, comme nous le verrons, d'ajouter une distinction entre l'interprétation statistique et l'interprétation proprement sociologique des données recueillies.
Les cadres théoriques fonctionnent à la fois comme sources de questionnement et de recueil de données et comme ensemble de schèmes interprétatifs des données recueillies. Ces cadres théoriques peuvent être plus ou moins clairement formalisés et explicités dans les recherches sociologiques empiriques.
L'individualisme méthodologique représenté en France par Raymond Boudon est ainsi souvent associé à la formulation précise de modèles simplifiés du réel, reposant sur quelques principes de comportement : rationalité individuelle, cohérence des préférences... La modélisation des comportements est parfois elle-même associée à l'usage de la formalisation mathématique, comme dans les sciences économiques.
D'autres orientations plus inductives, laissent plus de place à l'analyse des données (au sens large) et accordent aux concepts théoriques un statut, plus heuristique, de guide pour l'interprétation : c'est le cas des notions de champ ou d'espace social telles qu'elles sont utilisées dans les travaux inspirés par Pierre Bourdieu.
La diversité des systèmes d'interprétation en sociologie, qui se traduit, comme le souligne Jean-Claude Passeron, par la coexistence de lexiques sociologiques différents, condamne-t-elle un peu plus à une sorte de relativisme généralisé ? Ne peut-on penser, au contraire, qu'elle correspond à une phase du développement de la discipline caractérisée par la concurrence entre théories et par la multiplication foisonnante et parfois apparemment contradictoire des données observées ? L'entrée dans une phase d'unification théorique n'est sans doute pas à l'ordre du jour, mais elle constitue selon nous l'horizon intellectuel de la discipline en tant que science.
Compréhension et explication des données
C'est autour des notions de compréhension et d'explication que s'articulent les grandes conceptions de l'interprétation sociologique. Schématiquement, nous distinguerons la tradition webérienne (ou subjectiviste) et la tradition durkheimienne (ou objectiviste), étant entendu que cette opposition, souvent caricaturée dans les manuels, ne doit pas être considérée comme insurmontable.
Dans la tradition webérienne, la sociologie ne cherche pas à établir de « lois » ni même de « régularités » objectives, notions caractéristiques d'une conception « nomologique » issue des sciences de la nature. Il s'agit plutôt de reconstituer par la compréhension le sens subjectif de l'action des acteurs sociaux pour interpréter les faits historiques dans toute leur singularité. Pour comprendre la Révolution française, on cherchera à comprendre le sens, les représentations et valeurs que les divers acteurs de celle-ci ont engagés dans le processus révolutionnaire. Sciences historiques et sciences naturelles sont alors radicalement opposées, selon une ligne de partage issue de la tradition philosophique allemande soulignée par Raymond Aron.
Dans la perspective[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Frédéric LEBARON : professeur de sociologie à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Classification
Médias
Autres références
-
ACCULTURATION
- Écrit par Roger BASTIDE
- 8 306 mots
- 1 média
En même temps que l'anthropologie culturelle établissait la série ordonnée de ces concepts, depuis le conflit jusqu'à l'assimilation,la sociologie nord-américaine (qui est partie du relationnisme allemand et n'a découvert Durkheim que bien après) établissait à son tour une série de concepts qui... -
ACTION COLLECTIVE
- Écrit par Éric LETONTURIER
- 1 466 mots
On entend par ce terme, propre à la sociologie des minorités, des mouvements sociaux et des organisations, toutes les formes d'actions organisées et entreprises par un ensemble d'individus en vue d'atteindre des objectifs communs et d'en partager les profits. C'est autour de la question des motivations,...
-
ACTION RATIONNELLE
- Écrit par Michel LALLEMENT
- 2 646 mots
- 1 média
Les théories sociologiques ne convergent pas, loin s'en faut, lorsqu'il est question de rendre intelligibles les comportements individuels. D'inspiration psychologique, certaines estiment que les hommes demeurent avant tout les jouets de leurs passions. Dans un registre tout différent, d'autres analysent...
-
ADMINISTRATION - La science administrative
- Écrit par Jacques CHEVALLIER et Danièle LOCHAK
- 3 208 mots
Le courant sociologique. Deux branches de la sociologie ont été plus particulièrement conduites à s'intéresser aux phénomènes administratifs. D'abord la sociologie politique, dans la mesure où l'existence et le fonctionnement de l'administration publique comportent une dimension politique... - Afficher les 178 références