SOCRATE (469-399 av. J.-C.) ET ÉCOLES SOCRATIQUES
La méthode de Socrate
Socrate, c'est d'abord un geste, une interpellation enjouée, secrètement impérieuse. Les hommes vont à leurs affaires, ils exercent ce qu'ils appellent leurs compétences. Socrate lève son bâton, et dit : « Arrête-toi, mon ami, et causons un peu. Non d'une vérité que je détiendrais, non de l'essence cachée du monde ; mais de ce que tu allais faire quand je t'ai rencontré. Tu croyais cela juste, ou beau, ou bon, puisque tu allais le faire ; explique-moi donc ce que c'est que justice, beauté, bonté. » Ainsi naît le dialogue, au ras de l'activité quotidienne, et la prenant à contre-pied, puisqu'il l'oblige à rendre ses comptes.
L'art socratique du dialogue, en qui se résume la manière socratique de philosopher, tient à peu près dans l'image de la « maïeutique », art d'accoucher les esprits, que Socrate disait tenir de sa mère ; encore faut-il ne pas oublier que l'accoucheuse, matrone qui a elle-même passé l'âge d'enfanter, a compétence aussi pour juger si l'enfant est viable ou non, et sait se faire avorteuse au besoin. L'enquête socratique, par l'un de ses aspects, est une recherche spéculative, guidée par l'exigence rationnelle de la cohérence et de la légitimation : aspect que retiendra Aristote, estimant que l'on doit deux choses à Socrate, l'idée de la définition universelle, qui couvre la totalité du défini parce qu'elle en atteint l'essence, et la technique du raisonnement inductif, qui dégage cette essence universelle par la confrontation des exemples particuliers. Mais la réfutation socratique des formules suggérées par l'interlocuteur brise en même temps l'illusion par laquelle, croyant tenir le concept, il se croit en droit de l'utiliser pour juger, et donc pour vivre ; aussi, quand il se trouve paralysé par le contact du « poisson torpille » qu'est Socrate, est-il atteint au plus vif ; c'est de mal vivre, en définitive, qu'il est convaincu.
Précisément parce qu'elle atteint à cette profondeur, la morsure socratique est féconde, contrairement à la réfutation sophistique, qui peut lui ressembler extérieurement. La joute sophistique est toute verbale ; le vaincu ne croira pas en danger les convictions auxquelles il s'identifie, il ne songera qu'à maîtriser à son tour les instruments de sa revanche. L'homme livré à Socrate, réveillé, par la piqûre du « taon », du sommeil dont ses opinions sont les rêves, est devenu une inquiétude, une recherche, une conscience.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques BRUNSCHWIG : professeur à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média
Autres références
-
GENRES LITTÉRAIRES, notion de
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 847 mots
Avant d'être une notion problématique, inscrite dans une histoire et lourde d'enjeux esthétiques, les genres littéraires sont, pour la plupart d'entre nous, une réalité éditoriale, indissociable de notre expérience concrète : ils circonscrivent des territoires (le rayon « poésie » d'une...
-
ALLÉGORIE, notion d'
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 1 455 mots
Une première conception de l'allégorie provient de la rhétorique (Cicéron, Quintilien) : elle définit comme une « métaphore continuée » cette manière de parler qui désigne une chose par une autre (du grec allos, « autre », et agoreuein, « parler en public »). La métaphore...
-
ARTS POÉTIQUES, notion de
- Écrit par Filippo D' ANGELO
- 1 333 mots
On désigne par l'expression « art poétique » les textes qui élaborent une doctrine à la fois descriptive et prescriptive de la création littéraire. L'adjectif « poétique » ne renvoie donc pas ici au genre de la poésie lyrique, comme sa signification courante pourrait...
-
DÉBAT, genre littéraire
- Écrit par Véronique KLAUBER
- 347 mots
Le terme générique « débat » correspond à une série de genres poétiques dialogués que les trouvères et les troubadours cultivaient depuis le début du xiie siècle : d'abord en latin, sous le nom de disputatio, puis en langue vulgaire ; il est appelé tenson ou jocpartit...
-
DESCRIPTION, notion de
- Écrit par Elsa MARPEAU
- 985 mots
La description permet de donner à voir en imagination, grâce au langage. Elle constitue une pause, un contretemps dans le flux du récit. Sa finalité représentative semble ainsi l'opposer aux visées narratives de ce dernier. Toutefois, cette distinction théorique est plus complexe dans la pratique,...
-
DIALOGUE
- Écrit par Françoise ARMENGAUD et Robert MISRAHI
- 4 423 mots
- 1 média
L'entrée en dialogue paraît d'autant plus désirable que le partenaire est plus différent ou plus lointain. Le dialogue répond à une préoccupation éthique – il serait l'antiviolence par excellence – et à un souci politique : comment améliorer la circulation de l'information de manière...
-
DIDACTIQUE POÉSIE
- Écrit par Bernard CROQUETTE
- 531 mots
Poésie qui dispense un enseignement (philosophique, moral, scientifique, technique, etc.) en le parant des agréments propres à la poésie. Le vers, de par ses vertus mnémoniques, a été utilisé dès les origines pour fixer une leçon (oracles, sentences...) ; aux débuts de la littérature grecque, il...
-
ÉPOPÉE, notion d'
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 1 628 mots
-
FABLE
- Écrit par Marc SORIANO
- 3 260 mots
-
PARODIE, art et littérature
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 229 mots
Exercice de virtuosité en même temps que démonstration de liberté, condamnée à dépendre de l'original qu'elle détourne, et, comme la satire, prisonnière du contexte et victime du temps, la parodie constitue une approche instructive des œuvres, des styles et des genres qu'elle rabaisse...
-
SATIRE
- Écrit par Roger ZUBER
- 2 693 mots
- 1 média
-
TRAGÉDIE
- Écrit par Bernard DORT , Jacques MOREL et Jean-Pierre VERNANT
- 5 376 mots
- 2 médias
La tragédie naît en Grèce au vie siècle avant J.-C., mais c'est à Athènes, au cours du ve siècle, qu'elle trouve sa forme littéraire achevée. Les œuvres tragiques qui nous sont parvenues et que les Grecs nous ont transmises parce qu'ils les jugeaient dignes d'être conservées (trente-deux...
-
ILIADE, Homère - Fiche de lecture
- Écrit par Jean-François PÉPIN
- 974 mots
- 1 média
Au milieu du viiie siècle avant J.-C., un poète grec venu d'Asie Mineure, Homère, aurait composé en hexamètres dactyliques deux magistrales épopées, l'Iliade et l'Odyssée, mais le mystère entoure encore aujourd'hui ces deux textes : Homère a-t-il réellement existé ? A-t-il...
-
CONFESSIONS, Augustin - Fiche de lecture
- Écrit par Bernard SESÉ
- 944 mots
-
DE L'ORATEUR, Cicéron - Fiche de lecture
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 729 mots
-
DIALOGUE DES ORATEURS, Tacite - Fiche de lecture
- Écrit par François TRÉMOLIÈRES
- 763 mots
- Afficher les 29 références