ANGUISSOLA SOFONISBA (1532 env.-1625)
Sofonisba Anguissola, l’une des rares artistes femmes de la Renaissance, connaît de son vivant une importante renommée. De nombreuses recherches lui ont été consacrées depuis les années 1970 afin de reconstituer sa biographie et un corpus d’œuvres conçu entre l’Italie et l’Espagne. Issue de la noblesse de Crémone, née dans cette ville vers 1532, elle reçoit une éducation étonnamment libérale et approfondie. Soutenue par un père humaniste, elle étudie la musique, comme de nombreuses jeunes filles, mais aussi les lettres et les sciences, des disciplines alors masculines, sans oublier la peinture, pourtant suspectée d’immoralité. En raison de son talent pour le dessin, elle suit l’enseignement des peintres Bernardino Campi (à partir de 1545), qui lui fait découvrir l’œuvre du Corrège et l’initie au portrait (Bernardino Campi peignant SofonisbaAnguissola, vers 1559, Pinacothèque nationale, Sienne), et Bernardino Gatti (à partir de 1549). Au cours des années 1550, elle reçoit les encouragements de Francesco Salviati et de Michel-Ange à qui elle montre certaines de ses œuvres. Elle éveille aussi l’intérêt du premier critique d’art de la Renaissance, Giorgio Vasari, qui contribue à sa légitimation. Elle peint à la cour des Gonzague à Mantoue ou des Este à Ferrare avant de devenir, sur l'invitation de Philippe II d’Espagne en 1559, dame d’honneur et professeur de dessin de la toute jeune reine Isabelle de Valois (Élisabeth de France) – après la mort de celle-ci, en 1568, elle continuera à s’occuper de ses deux filles. Peu avant son départ pour Madrid, Anguissola exécute la commande d’un portrait du poète et graveur de médailles Giovanni Battista Caselli (1557-1558, musée du Prado, Madrid), destiné à orner la galerie de Pietro Antonio Lanzoni, chanoine de la cathédrale de Crémone. Cette commande témoigne de la réputation dont bénéficie déjà Anguissola dans sa ville natale. Elle livre un portrait vériste du modèle qui, la main levée, interrompt la rédaction d’un manuscrit pour jeter un œil surpris et intense au peintre.
En Espagne, pendant deux décennies, elle exécute de nombreux portraits de la cour. Ainsi, son effigie de Philippe II (1573, musée du Prado, Madrid), un chapelet à la main, montre le traitement particulièrement doux qu’elle réserve aux chairs, à la pilosité, aux iris, associé à sa compréhension des spécificités espagnoles, où l’austérité se veut le reflet du rigorisme religieux.
Pour des raisons de bienséance, Sofonisba Anguissola a longtemps travaillé sous la protection de son père. Elle est restée célibataire jusqu’à un âge jugé avancé – statut qu’elle revendique par le terme Virgo (« vierge ») inclus dans sa signature – et n’a jamais eu d’élèves. Même chez les Habsbourg, et en dépit du respect qu’on lui portait, elle n’a pu, à cause de son sexe, accéder au titre officiel de peintre de cour. Pour les mêmes motifs, elle a surtout réalisé des autoportraits (Portrait de l’artiste par elle-même, vers 1554, Kunsthistorisches Museum, Vienne) et des portraits (Isabelle de Valois tenant un portrait de Philippe II, 1561-1567, musée du Prado, Madrid) qui concentrent une ambition esthétique de tradition lombarde : sobriété du décorum qui permet au spectateur de porter son attention sur le traitement des traits du visage et des yeux, abordés avec délicatesse et psychologie. Dans un cadre moins formel que le portrait de commande, notamment lorsqu’elle peint les membres de sa famille, elle se plaît à traduire l’expressivité des figures avec une subtilité peu commune, qui annonce les scènes de genre du xviie siècle. Ainsi, dans Lucia, Minerva et Europa Anguissola jouant aux échecs (1555, Musée national, Poznan), elle représente trois de ses sœurs et une servante autour d’un échiquier : l’articulation des regards, les expressions et l’importance donnée[...]
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Écrit par
- Camille VIÉVILLE : docteure en histoire de l'art contemporain, historienne de l'art, auteure
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