SOLIDARITÉ SOCIALE
C'est dans son travail de thèse, De la division du travail social (1893), qu'Émile Durkheim utilise la notion de solidarité sociale. Celle-ci renvoie au lien moral qui unit les individus d'un même groupe, et qui forme le ciment de la cohésion sociale : pour qu'une société existe, il faut que ses membres éprouvent de la solidarité les uns envers les autres. C'est en examinant les changements dans la forme de ce lien que Durkheim entend expliquer l'évolution des sociétés humaines.
La solidarité mécanique
Les sociétés traditionnelles se caractérisent, selon lui, par une solidarité sociale dite mécanique, qui dérive des ressemblances entre individus. Dans cet univers, les sentiments collectifs sont très forts et clairement définis, suscitant des émotions vives : tout imprégnés d'interdits religieux, les sentiments domestiques, par exemple, sont très réglementés et partagés unanimement par les individus. La conscience collective, c'est-à-dire « l'ensemble des sentiments communs à la moyenne des membres d'une même société », est fortement présente à chacun. En conséquence, tout « crime », c'est-à-dire tout acte qui vient la heurter en froissant les états forts et définis, suscite mécaniquement une réaction énergique et collective, car alors l'infraction soulève chez tous ceux qui sont témoins, ou en savent l'existence, une même et intense indignation. La colère publique est grande parce que les sentiments sont communs, en vertu du fait qu'ils sont universellement respectés. La réaction collective y a par ailleurs une grande unité car « tout le groupe atteint se contracte en face du danger et se ramasse, pour ainsi dire, sur lui-même ». L'émoi gagne de proche en proche et pousse violemment les uns vers les autres tous ceux qui se ressemblent et se trouvent réunis dans un même lieu. Comme tous les individus sont attirés les uns vers les autres et sont attachés à la société – condition d'existence de la conscience collective, qui constitue la plus grande part d'eux-mêmes –, les mobiles collectifs se retrouvent partout et produisent partout le même effet. Et « chaque fois qu'ils entrent en jeu, les volontés se meuvent spontanément et avec ensemble dans le même sens » ; comme toutes les consciences vibrent à l'unisson, elles réagissent toutes de la même façon, mécaniquement, à l'image des molécules des corps inorganiques, qui n'ont pas de mouvement propre.
Une bonne illustration de cette solidarité sociale est la société segmentaire à base de clans, qui est formée par la répétition d'agrégats semblables, lesquels renferment des éléments homogènes en général consanguins, comme chez les Indiens Iroquois et chez les anciens Germains.
Le droit répressif, caractéristique de ce type de solidarité, et qui en est le reflet, est là pour protéger la force de cohésion sociale vitale pour l'existence du corps social. La peine consiste alors dans une douleur, ou tout au moins une diminution infligée à l'agent, elle a pour objet de l'atteindre dans son honneur, sa fortune, sa vie (par exemple sous l'Ancien Régime, une mutilation en place publique) ou sa liberté, et ne se contente pas d'une simple remise des choses en l'état. Elle a bien souvent un caractère expiatoire. C'est le signe qui atteste que les sentiments collectifs demeurent, et que la communion des esprits dans la même foi reste entière.
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Écrit par
- Jean-Christophe MARCEL : maître de conférences en sociologie
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