SOLIDARITÉ SOCIALE
La solidarité organique
A contrario, le droit restitutif n'exige pas forcément une souffrance de l'agent, mais consiste dans la remise des choses en l'état, dans le rétablissement sous leur forme normale des rapports qui ont été troublés. Tandis que le droit répressif se trouve diffus partout dans la société, le droit restitutif se crée des organes spéciaux (tribunaux, conseils de prud'hommes, etc.). Dans ce cas, les règles que déterminent les sanctions restitutives n'atteignent pas tout le monde, mais concernent des parties restreintes de la société qu'elles relient entre elles (le paiement de dommages et intérêts par exemple).
Ce type de droit révèle une autre forme de lien social dans lequel les individus sont solidaires grâce à un système de fonctions différentes et spéciales qu'unissent des rapports définis, et notamment la division du travail. Caractéristique des sociétés modernes, cette solidarité est dite « organique » parce que l'individu dépend d'autant plus étroitement de la société que les tâches sont divisées. Par ailleurs, l'activité de chacun y est d'autant plus personnelle qu'elle est plus spécialisée. Cette solidarité sociale est semblable à celle que l'on observe chez les animaux supérieurs où chaque organe a sa physionomie spéciale et son autonomie, mais où l'unité de l'organisme est d'autant plus grande que l'individualisation des parties est plus marquée.
La solidarité organique résulte de l'effacement de l'individualité des segments tribaux du fait de l'accroissement de la population et de sa densité. Les rapports sociaux deviennent plus nombreux ; les groupes deviennent plus perméables les uns aux autres car ils ne sont plus dispersés en une multitude de petits foyers distincts, mais rassemblés dans des centres urbains reliés par des voies de communication plus rapides et nombreuses. Chacun est susceptible d'y croiser d'autres personnes venant d'autres horizons et peut ainsi relativiser les règles et coutumes qui lui viennent de ses groupes d'appartenance. Bref, l'accroissement du volume et de la densité de la société va de pair avec les progrès de la division du travail, de telle sorte que la lutte pour la vie soit supportable : Durkheim note que « dans une même ville les professions différentes peuvent coexister sans être obligées de se nuire réciproquement, car elles poursuivent des objectifs différents » ; au contraire, il est inévitable que des organes similaires s'atteignent, entrent en lutte et s'efforcent de se substituer les uns aux autres. La division du travail est donc un « dénouement adouci » de la lutte pour la vie. En ce sens, c'est une loi de l'histoire que la solidarité mécanique perde progressivement du terrain au profit de la solidarité organique.
Dans une société à solidarité organique, enfin, la force de la tradition s'affaiblit dans les consciences, car l'individu a beaucoup plus de chances de quitter le village de ses ancêtres. Si bien qu'à mesure que la société se segmente, les contraintes sociales pesant sur les individus tendent à se relâcher. La conscience collective perd alors de sa force et de sa prépondérance au détriment de la variabilité individuelle. Une vie psychique d'un genre nouveau apparaît, qui transforme en représentations des choses qui auparavant restaient en dehors des consciences parce qu'elles n'affectaient pas l'être collectif. En un mot, on assiste à un phénomène d'individualisation (« individuation », selon le mot de Durkheim).
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Christophe MARCEL : maître de conférences en sociologie
Classification
Autres références
-
ABBÉ PIERRE HENRI GROUÈS dit L' (1912-2007)
- Écrit par Jean-Claude PETIT
- 1 094 mots
L'abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, voit le jour à Lyon le 5 août 1912. Il est le cinquième d'une famille de huit enfants qu'il qualifie lui-même de bourgeoise. Cette famille nombreuse lui vaudra d'avoir cent vingt-trois neveux et nièces, tous âges, tous degrés et toutes conditions confondus,...
-
ANOMIE
- Écrit par Raymond BOUDON
- 4 002 mots
- 1 média
...livre à la division du travail anomique. L'idée générale de la théorie de Durkheim consiste dans l'affirmation que les sociétés évoluent d'un type de solidarité mécanique à un type de solidarité organique. Dans le premier cas, les éléments qui composent la société sont juxtaposés. Dans le second, ils... -
ASSIMILATION SOCIALE
- Écrit par Shmuel Noah EISENSTADT
- 9 403 mots
En de semblables occurrences, on assiste à une transformation progressive des manifestations de solidarité et des moyens d'expression. D'une part, les manifestations de solidarité sont orientées de manière à se conformer à la structure sociale de la société d'accueil, à tout le moins à celle de certains... -
CHANGEMENT SOCIAL
- Écrit par François BOURRICAUD
- 5 805 mots
- 1 média
...sous la désignation commode, mais confuse et arbitraire, de « fonctionnalistes ». À cet égard, l'interprétation que donne Durkheim (1858-1917) de la « solidarité mécanique » est tout à fait caractéristique. Une société qui définit strictement les obligations de ses membres, qui sanctionne toute ... - Afficher les 27 références