ANSPACH SÓLVEIG (1960-2015)
Sólveig Anspach est née le 8 décembre 1960 à Heimaey, dans l’archipel de Vestmann (Islande), d’une mère islandaise et d’un père juif viennois qui avait rejoint les États-Unis puis combattu en Europe sous l’uniforme américain. Cette citoyenne du monde grandit à Paris, fréquente l’école allemande, fait des études de philosophie et de psychologie avant d’intégrer la Femis, d’où elle sort diplômée en 1989.
Elle commence sa carrière de cinéaste avec un documentaire (16 mm), Paramour, interview d’une prisonnière condamnée pour le meurtre de son amant, un boucher. Dans ce court-métrage, la parole, traînante, plaintive, est dissociée des images montrant les collègues de la victime tranchant des pièces de viande. Suivent des portraits de fortes personnalités transgressives que la cinéaste suit parfois de film en film : Sandrine, une pickpocket (La Tire, 1988 ; Sandrine, une autre vie, 1991 ; Sandrine à Paris, 1992). Que personne ne bouge! (1998),sur le « gang des Amazones » qui commit plusieurs braquages dans le Vaucluse entre 1989 et 1990, est récompensé au Festival international de films de femmes de Créteil. Dans Barbara, tu n’es pas coupable (1997), des rêveuses, friandes de romans-photos, se confient à la caméra.
Sólveig Anspach passe à la fictionavec Haut les cœurs ! (1999),récit de la grossesse et de l’accouchement d’une femme qui se découvre atteinte d’un cancer. Autofiction, devrait-on dire, puisqu’il s’agit de l’épreuve que la cinéaste vient de traverser. Le film est porté par la présence de l’interprète principale, Karin Viard, qui obtient un césar pour le rôle. Il est tourné dans l’espace confiné des salles d’attente et de consultation, sans pathos, en une série de scènes elliptiques et brèves, sans musique d’accompagnement. Ce film, aussi intense qu’un thriller, aborde frontalement le tabou de la maladie. Deux ans plus tard, Anspach revient au documentaire – et au thème de l’enfermement – avec Made in the USA, (coréalisé avec Cindy Babski), contre-enquête sur le cas Odell Barnes, jeune Afro-Américain condamné à mort et exécuté.
Les fictions qui suivent forment une trilogie qui nous emmène en Islande où l’espace s’ouvre à d’âpres paysages et à une nature élémentaire. Les deux langues, le français et l’islandais, coexistent et constituent une véritable partition musicale. Le personnage central en est la poétesse Didda Jónsdóttir, figure extravagante et double énigmatiquede l’auteur : tout d’abord femme mutique dansStormyWeather (2003), elle devient mère de famille-dealeuse dans Back Soon(2008), et se voit transplantée en banlieue parisienne dansQueen of Montreuil (2012). Le ton, grave dans la première fiction qui cite la confrontation/ fusion entre soignante et soignée qui marquait Persona d’ Ingmar Bergman, se fait plus léger dans les deux suivantes qui cherchent à réenchanter le quotidien. Le naturalisme poétique de cet univers de précaires et de chômeurs qui se débrouillent et s’entraident à la marge des métropoles évoque à la fois René Clair et certains longs-métrages de la Berliner Schule, tels que Sommer vormBalkon d’Andreas Dresen. En 2011, avec La Vie à sac, Webdocumentaire produit par Médecins du monde et consacré à un bidonville rom près de Nantes, Anspach oriente son cinéma vers un nouvel écran, celui d’Internet.
Pour Lulu femme nue (2013), adaptation d’une bande dessinée d’ Étienne Davodeau, la réalisatrice retrouve Karin Viard en quadragénaire usée par l’existence. À la suite d’un acte manqué, celle-ci abandonne mari et enfants et reprend goût à la vie dans une station balnéaire en morte saison, auprès de personnages rejetés tout comme elle. Avec L’Effet aquatique (2014), Anspach renoue avec son mundillo montreuillois. Cette comédie sera sa dernière. Rattrapée par la maladie, la cinéaste meurt le 7 août 2015 dans la[...]
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Écrit par
- Nicole GABRIEL : agrégée d'allemand, maître de conférences en civilisation germanique à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification
Média