SOMME THÉOLOGIQUE
Au cœur du Moyen Âge latin, la somme théologique marque le triomphe de l'esprit de synthèse pour l'exploration organique des propositions de la foi. Cette confiance traduit une nouvelle vision du monde (ordinata collectio creaturarum) selon laquelle l'harmonie, l'ordre scellent les épousailles de la raison et de la religion. Il ne s'agit pas d'une génération spontanée. Déjà, Jean Scot Érigène (mort en 877), à propos du recours aux auctoritates, écrit : « Toute autorité qui n'est pas appuyée par la vraie raison apparaît infirme ; mais la vraie raison, en s'appuyant fixe et immuable sur sa propre vertu, n'a besoin d'être renforcée par nulle autorité. »
Toutefois, si le souci de l'exposition, de l'enchaînement rigoureux, de cette « dialectique » que Bernard de Clairvaux fustige et dont il obtient la condamnation est à l'œuvre dans la première scolastique (Anselme de Laon, mort en 1117 ; Gilbert de la Porrée, mort en 1154 ; Abélard, mort en 1142), la « renaissance » du xiie siècle est encore l'ère des tâtonnements. C'est que « penser la foi » dans la diversité — et souvent la contradiction — des énoncés appelle une mise en ordre : les « sententiaires » tentent d'y pourvoir. Leurs recueils de Sententiae ou Flores ne pèchent en général pas par excès de rationalité — quand l'autorité fait défaut, la question est souvent laissée au « jugement de Dieu » — mais, dans leur forme même, de plus en plus construite, ils invitent à l'argumentation dialectique. Ainsi, quelque mépris que puisse afficher Pierre Lombard (mort en 1160) pour les dialecticiens, « raisonneurs bavards plus vaniteux que capables », ses Sententiarum libri quatuor tentent de trouver la voie moyenne entre des opinions diverses ; et leur destin sera d'être le livre de base des futurs maîtres en théologie à l'université de Paris.
Florilèges, sentences, mais aussi sommes : le terme a cours au xiie siècle — l'œuvre de Pierre Lombard est parfois nommée Summa Magistri Lombardi. L'usage demeure cependant de donner le nom de summa à ce qui est un abrégé, un sommaire. En 1150, Robert de Melun la définit de la sorte : « Quid enim summa est nonnisi singulorum brevis comprehensio ? »
En fait, les premières sommes au sens de synthèse du savoir théologique n'apparaissent qu'au xiiie siècle et leur évolution suit les étapes de la connaissance, à partir du grec et de l'arabe, de l'ensemble de l'œuvre d'Aristote et de son cortège de commentaires, particulièrement ceux d'Avicenne et d'Averroès. La Summa aurea de Guillaume d'Auxerre (mort en 1231), la Summa de bono de Philippe le Chancelier (mort en 1236), le Magisterium divinale de Guillaume d'Auvergne (mort en 1249), la Summa theologica attribuée à Alexandre de Halès (mort en 1245) préparent la méthode scolastique qui, entre 1250 et 1277, aboutit aux grandes synthèses doctrinales.
Mais les démarches de Bonaventure (1221-1274), d'Albert le Grand (1206-1280), de Thomas d'Aquin (1225-1274) ne donnent pas nécessairement naissance à des sommes théologiques au sens strict ; ainsi en est-il des Commentarii in quatuor libris Sententiarum ou du Breviloquium du premier, qui sont liés au mysticisme augustinien du xiie siècle. La convergence du genre littéraire de la somme avec l'aristotélisme n'est, en effet, pas fortuite : la philosophie aristotélicienne est un remarquable instrument de clarification ; or c'est proprement la tâche que Thomas d'Aquin — qui entreprend la Somme théologique en 1266-1267 — assigne à la raison humaine : « Rendre clair tout ce qui est avancé dans cette doctrine [la théologie]. » Rendre clair, mais non pour prouver la foi, différence qui commande la structure de la somme, manifestation d'une doctrine[...]
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Écrit par
- Gilbert GIANNONI : chef de service, Encyclopædia Universalis
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