SONDAGES D'OPINION
« L'opinion, c'est ce que mesurent les sondages » assure une boutade qui dit combien cette opinion se confond aujourd'hui avec les sondages mais suggère aussi l'artificialité d'une telle définition. Si, dans le passé, l'opinion publique fut associée aux salons, à la presse ou à la rue, elle ne saurait être aujourd'hui évoquée, et a fortiori invoquée, sans les sondages. Les autres expressions en seraient devenues archaïques et trompeuses. Les sondeurs ont gagné leur légitimité de haute lutte, comme il se doit pour un outil politique aussi sensible.
Selon un point de vue réaliste, ce succès est d'abord l'essor d'une activité économique avec ses entreprises, ses produits et ses méthodes. Les sondages sont devenus une source cruciale de légitimité démocratique qui autorise à prétendre avoir l'opinion de son côté à elle, à moins qu'il ne s'agisse de faire l'opinion. L'identification des sondages à l'expression de l'opinion suscite, depuis le début, une polémique récurrente qui mêle forcément les registres politiques et scientifiques. Pour autant, celle-ci n'entrave nullement la bonne marche des sondages. S'il est des incertitudes en la matière, elles tiennent à la banalisation de cette pratique, une conséquence de son essor, qui accentue les réticences du public, c'est-à-dire aussi des sondés potentiels.
L'opinion et sa mesure
L'essor des sondages
Les enquêtes d'opinion sont apparues aux États-Unis dans les années 1930. Leurs promoteurs, George Gallup et Elmo Roper, étaient des professionnels du marketing. La nouvelle méthode empruntait à la fois à la statistique sociale, qui menait des enquêtes sur les conditions de vie (hygiène, salubrité des logements, etc.), et à la découverte mathématique des principes de représentativité faite à la fin du xixe siècle. Il suffit d'une population rationnellement choisie pour connaître une population plus grande voire toute la population, comme il suffit de tremper une cuillère dans la soupe pour savoir si cette dernière est trop ou pas assez salée. Malgré ce principe élémentaire, il a fallu une démonstration en grandeur nature pour commencer à convaincre. Cette révélation s'est effectuée à la faveur d'élections car celles-ci permettent de confronter les résultats obtenus respectivement avec un échantillon d'enquête et la population d'ensemble. Elles sont en somme le seul moyen de vérifier le résultat d'un sondage... en dehors d'un autre sondage. Le succès a donc pris une allure de prouesse quand George Gallup a annoncé la victoire de Franklin D. Roosevelt sur Alfred Landon à l'élection présidentielle de 1936. Pour accentuer encore la démonstration, le « vote de paille » organisé par le Literary Digest, un magazine renommé pour ces consultations anticipées auprès de ses lecteurs, se trompa et n'y survécut pas. Aucun raisonnement ne vaut une démonstration aussi concrète et, en France aussi, les sondages furent révélés au public par l'annonce du ballottage du général de Gaulle à l'élection présidentielle de 1965. Il importe peu que les chiffres aient été approximatifs et que des élections ultérieures n'aient pas été aussi propices. L'imposition d'une technique rationnelle de connaissance de l'opinion était amorcée.
Les instituts de sondages, comme il est convenu de les appeler pour marquer leur revendication scientifique, ont d'abord été limités aux États-Unis (Gallup Polls fondé en 1935), puis ont été créés en Europe de l'Ouest (I.F.O.P. fondé en 1938 et Sofres en 1962 pour la France, MORI en 1969 pour le Royaume-Uni). Ils ont connu à partir des années 1970 une croissance qu'on a parfois qualifiée d'exponentielle. À la fin du siècle, ils se sont en outre imposés dans de nouveaux pays d'Amérique latine[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alain GARRIGOU : professeur de science politique
Classification
Média
Autres références
-
CHAMPAGNE PATRICK (1945-2023)
- Écrit par Julie SEDEL
- 1 145 mots
..., paru initialement aux éditions de Minuit et réédité en format poche en 2015, critiqué par une partie des politologues investis sur le marché des sondages d’opinion, constituera une référence pour toute une génération de chercheurs et d’étudiants. S’appuyant sur l’analyse de Norbert Elias sur le... -
COMPÉTENCE, sociologie
- Écrit par Yves DÉLOYE
- 1 126 mots
La question de la compétence des citoyens ordinaires est, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une question à la fois classique et controversée en sociologie politique. À l’évidence, les recherches sur la compétence politique en démocratie ou encore sur « la sophistication idéologique...
-
ÉCHANTILLON & ÉCHANTILLONNAGE
- Écrit par Jean-François RICHARD
- 593 mots
Le problème de la construction d'un échantillon se pose lorsqu'on n'a pas les moyens d'observer l'ensemble des personnes ou l'ensemble des situations auxquelles on s'intéresse. On appelle « population » cet ensemble qui constitue l'objet de l'étude....
-
ÉLECTIONS - Sociologie électorale
- Écrit par Patrick LEHINGUE
- 5 412 mots
- 2 médias
L'apparitiondes sondages d'opinion dès les années 1940 aux États-Unis va provisoirement résoudre cet irritant paradoxe, dit de Robinson. En interrogeant individuellement des électeurs, il devient possible de mesurer et surtout de comparer avec une relative fiabilité les orientations électorales... - Afficher les 9 références