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SONGES DE MEVLIDO (A. Volodine)

Venu de la science-fiction, Antoine Volodine pratique la littérature en chamane. Si ses livres manifestent une force envoûtante qui lui amène aujourd'hui un large public, il apparaît aussi comme l'un des très rares auteurs actuels capables d'édifier une œuvre pleinement contemporaine. Écrivain de l'imaginaire, étiqueté « explorateur de mondes parallèles », son écriture transfigure les cauchemars du xxe siècle que notre temps traîne après lui : révolutions ratées, dictatures sanglantes, génocides. Ayant écarté le recours au réalisme, il a choisi l'onirisme pour peindre les errances de l'homme pris dans les miroirs de l'identité et dans les derniers feux croisés de l'idéal et de l'Histoire. Depuis Beckett et Perec on n'avait pas produit une somme aussi radicale, dont l'ambition va jusqu'à dissoudre la présence de l'auteur. Elle semble ainsi achever l'ontologie beckettienne en dépeignant un personnage improbable réduit à n'être plus qu'un untermensch, le dernier des hommes. Elle porte de plus la marque d'une rare capacité d'inventio – corrélative de l'écriture. En effet, Volodine a façonné une poétique, baptisée « post-exotique » qu'il a explicitée dans une fiction : Le Post-Exotisme en dix leçons, leçon onze (1998).

Face à Songes de Mevlido (Seuil, 2007), la presse a été unanime à souligner le caractère exceptionnel d'un roman qui s'inscrit, aux côtés de Dondog et de Des anges mineurs, comme un des sommets de l'œuvre. Cette histoire se déroule dans une ville, Oulang-Oulane, en un temps où le capitalisme mafieux a succédé au communisme, des années après que la Guerre noire a dévasté la Terre. Dans une des quelques zones qui restent habitables, réside Mevlido, un policier paumé, dans la tradition du polar coréen, préciserait Antoine Volodine, familier d'une culture qui nous reste encore étrangère. Mevlido survit avec Maleeya, sa compagne, dans une zone suburbaine du nom de Poulailler Quatre. Tous deux vivent le deuil, la folie et les cauchemars. Le policier pleure la mort violente de sa femme, Verena Becker, tandis que Maleeya s'obstine à voir en Mevlido son époux, Yasar, dont la disparition ne cesse de la hanter.

Bien vite, le lecteur va être entraîné dans un de ces voyages majeurs dont sont tissés les contes et les mythes. Mevlido ne fait pas de différence entre ses songes et ses mensonges. Il fréquente les derniers terroristes, et ce double jeu s'écrit aussi de manière pronominale réfléchie : qui est Mevlido ? Bientôt on apprend qu'il serait un agent envoyé dans le Temps par une organisation baptisée les Organes. Bouddhisme et chamanisme sur fond d'attentats anticapitalistes forment la trame de la narration. « Le nœud de la question, explique Antoine Volodine, est ici : qui manipule, qui crée, qui raconte. Dans Songes de Mevlido on a explicitement, derrière le destin de Mevlido, une structure hiérarchique bizarre, les Organes, qui envoie Mevlido sur Terre au moment de sa naissance et essaie, par l'intermédiaire de ses rêves, de conserver un contact avec lui, de lui dicter des instructions, de le guider. Impossible de savoir s'il s'agit d'un fantasme de Mevlido, ou si l'histoire racontée dans le livre reprend cet élément essentiel comme un fait. Impossible de savoir si les Organes rêvés et imaginés par Mevlido sont ou non une émanation délirante du Parti. Dans les deux cas, on a affaire à une structure agissant à la manière des dieux grecs, accompagnant l'humanité dans son errance et créant la tragédie individuelle de Mevlido. » Ces mises en abyme se prolongent à l'infini, lorsqu'on apprend que toute cette histoire est elle-même rapportée par Mingrelian, collègue de Mevlido, qui peut à son tour en modifier le cours.

Songes de Mevlido[...]

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