CALLE SOPHIE (1953- )
La vie et la personnalité de Sophie Calle sont, ou passent pour être, « hyperlittéraires ». C'est l'identification imaginaire de cette singulière artiste avec ces êtres d'encre et de papier – Anna, Maria – que glissèrent tour à tour dans leur univers romanesque les écrivains Hervé Guibert et Paul Auster. C'est un projet esthétique – une sorte de pseudo-autobiographie, la mimésis d'une subjectivité fictive et inventive – où les œuvres visuelles, savamment agencées en « rituels », flottent bizarrement, se donnent à lire comme système d'intrigues et stratégies médiatrices.
Miroirs du « je »
La relation de Sophie Calle à son histoire, à ses histoires, à ses quêtes et contre-enquêtes, à ses identités, se joue au cœur de l'être, dans la fabrique de l'intime, sujet-objet d'un moi narrateur, d'un moi fabuliste, engagé dans une aventure doublement piégée. C'est le roman, ou le « polar » d'une femme qui métamorphose sa vie en œuvre d'art.
L'artiste Sophie Calle est née à Paris en 1953. Tour à tour photographe clandestine, strip-teaseuse dans une baraque foraine de Pigalle, femme de chambre dans un hôtel vénitien, espionne scrutant des inconnus, fétichiste conservant ses cadeaux d'anniversaire, cinéaste éperdue filmant un road movie sur son désenchantement conjugal (No Sex Last Night, coréalisé et co-interprété avec son ex-mari, Greg Shepard, en 1995)... Sophie Calle est une étrange héroïne, qui déplace la question de l'auteur – la représentation du « je » –, qui trouble les différents codes de « textualité » à l'intérieur desquels s'instaure spéculairement la notion d'un « jeu », strictement réglé.
Sophie Calle livre ses travaux comme des thérapies personnelles. « Contre l'inquiétude, la peur de l'abandon, des absents, contre ma propre fragilité devant la vie normale », confie-t-elle. « Le fait que ce soit de l'art me protège – c'est une façon d'avoir le droit de faire de telles choses. » « Faire de l'art », d'abord pour plaire à son père, médecin, mais aussi collectionneur, puis par désir irréductible, après un passé de jeune militante, d'activiste pure et dure (maoïsme, féminisme, Gauche prolétarienne, lutte pro-palestinienne au Sud-Liban...) et de grande amoureuse. De retour à Paris, dans les années 1980, un peu déboussolée, elle entreprend ses premières « filatures indiscrètes » et se fait d'emblée remarquer sur la scène de l'art contemporain par une série consacrée aux aveugles, leur posant une question surprenante « Quelle est pour vous l'image de la beauté ? » Elle illustre les réponses et les expose à côté des photographies de ses interlocuteurs, comme des ex-voto.
Elle poursuivra à partir de là un parcours, jalonné par des œuvres qui rencontreront un large succès public. Le musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg a par exemple présenté, en novembre 1999, ses installations, Souvenirs de Berlin-Est, exploration sur la disparition, après la réunification de l'Allemagne, de certains monuments, plaques commémoratives ou symboles à caractère politique, comme la statue de Lénine à l'ambassade de Russie, le monument Lénine situé place des Nations-Unies, la plaque célébrant la visite de Lénine à la bibliothèque de la Bebelplatz... Sophie Calle a photographié cette absence et interrogé les passants. Se comportant en archiviste, elle a remplacé les emblèmes idéologiques muets par les traces impalpables, volatiles des témoignages – entre histoire et mémoire – qu'ils ont laissés.
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Écrit par
- Elvire PEREGO : historienne de la photographie, département de la recherche bibliographique, Bibliothèque nationale de France
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
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