RISTELHUEBER SOPHIE (1949- )
Si elle est connue pour ses œuvres photographiques, Sophie Ristelhueber ne fait pas de ce médium une exclusive. Et même si elle produit des images, c'est la construction photographique et plus encore le présent même de la saisie photographique qui condensent son attention artistique.
Née en 1949 à Paris, Sophie Ristelhueber a suivi une formation littéraire et a travaillé dans l'édition et comme journaliste. Depuis 1980, elle se sert de la photographie, précisant sa démarche au travers de nombreux travaux de commande. Le paysage y tient une bonne place, mais toujours dans sa dimension humaine, comme espace porteur de traces d'activité : architecture, routes et voies ferrées, activités industrielles ou agricoles. Elle répondra ainsi à des commandes de la D.A.T.A.R. (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) au cours des grandes campagnes menées dans les années 1980 pour dresser un inventaire visuel du paysage de la France. Elle est dès lors très attentive au support des photographies, qu'il s'agisse de l'accrochage à l'échelle de la salle de musée ou de la reproduction par le livre.
Mais c'est surtout avec la liberté du travail de l'artiste qu'elle va affirmer pleinement sa démarche, en recourant à d'autres natures d'images (comme la vidéo) et de dispositifs (formes diverses d'installation). Si elle a eu l'occasion d'exposer dès les années 1980, la maturité de son projet artistique apparaît en particulier au travers de la série photographique intitulée Fait, qu'elle montre une première fois en 1992 au Centre national d'art contemporain de Grenoble. Il s'agit d'une série de photographies, pour la plupart aériennes, du désert du Koweït après la guerre du Golfe. Tranchées, nids d'artillerie, épaves de toutes sortes, les grands tirages juxtaposés (la série complète est composée d'une trentaine de photographies), aux couleurs chaudes et sensibles soulignées par l'encadrement doré, tiennent de la description topographique froide des malheurs de la guerre, mais aussi de métaphores abstraites qui y font lire des signes d'écriture – ou de blessures. Exposées à plusieurs reprises, en particulier à l'étranger (ainsi à l'automne de 1996 au Museum of Modern Art de New York), ces photographies ont aussi fait l'objet, comme souvent pour l'artiste, d'un travail particulier d'édition : Fait (1992), le petit volume presque muet, apporte un autre rapport d'échelle et exige un autre regard de la part du spectateur.
D'autres séries de travaux retrouvent un point de vue proche, plus directement dramatique avec les vues de Beyrouth en ruines (1984) ou plus à distance comme le travail à partir de la Yougoslavie. L'actualité du monde retient en effet l'attention de Sophie Ristelhueber mais non dans une relation de témoignage ou de reportage : l'artiste se tient en décalage, en retrait de l'histoire événementielle et de sa violence pour laisser sa place à un fonctionnement métaphorique voire allégorique des images, qui est bien loin cependant de neutraliser la brutalité des faits. Ainsi Every One (exposé en 1994 aux Pays-Bas et, partiellement, en 1997, dans l'exposition Face à l'histoire au Centre Georges-Pompidou) est constitué de photographies en noir et blanc de cicatrices agrandies : prises dans un hôpital parisien, elles n'en ont pas moins été perçues comme des images de guerre.
Le travail de Sophie Ristelhueber se fait sur une brèche entre histoire et conscience, entre image et discours, ou encore entre public et intime. L'installation montrée au palais des Nations à Genève en 1995 (des tentes de réfugiés portant des fragments de résolutions de l'O.N.U., manifestement creuses) travaillait dans le sens de l'histoire collective alors que d'autres[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christophe DOMINO : critique d'art
Classification