SORCELLERIE
Fait de civilisation trop souvent dissocié de ce qui le sous-tend, la sorcellerie est mise en œuvre de croyances, de techniques et d'arts magiques, dont la faible plasticité et la reproduction inchangée depuis des siècles attestent la permanence de certaines modalités du fonctionnement de l'esprit humain. Européenne ou exotique, elle se laisse analyser, à partir de situations assez bien typées et facilement répertoriées, en des termes qui permettent de l'identifier, au niveau de ses implications sociales comme à celui de ses manifestations mentales, à un système où les silences et les sorts, la parole et le pouvoir, la force et la mort entretiennent d'étroits rapports. Les nombreux travaux d'ethnologie et d'histoire que le phénomène de sorcellerie a suscités n'ont cependant pas levé toutes les difficultés qui s'attachent aussi bien à sa définition qu'à son explication.
Les sociétés traditionnelles
Il est courant en Afrique d'acheter à un envoûteur une protection magique, par exemple pour éloigner les voleurs de son champ. Quand on a dérobé un bien à quelqu'un, celui-ci va trouver le jeteur de sorts : le voleur inconnu sera gravement frappé s'il ne restitue pas le bien au plus vite. Dans les îles Trobriand (Mélanésie), les chefs de tribus ont fréquemment recours aux envoûteurs contre les sujets rebelles à leur autorité. Ces pratiques sont légitimes. La sorcellerie, en revanche, fait essentiellement appel au mal. Par principe, dès qu'il s'agit de sorcellerie, le malheur est tenu pour injuste. La distance qui sépare les sorciers des magiciens est souvent difficile à fixer ; une différence fondamentale les distingue néanmoins : les seconds pourraient avoir une certaine justification ; les autres n'en ont pas.
La croyance aux sorciers
Les Zandé du sud-ouest du Soudan, étudiés par sir E. E. Evans-Pritchard, croient que la sorcellerie, entendue comme pouvoir de nuire aux autres sans support matériel, est en quelque sorte une substance que recèle le corps de certains individus. On naît ainsi. L'homme l'hérite de son père, la femme de sa mère. Nul, pas même l'intéressé, ne sait s'il possède cette substance, dont seule l'autopsie révèle la présence. N'importe qui peut donc être sorcier, et les sorciers ne feraient ici l'objet d'aucune réprobation. La sorcellerie n'en est pas moins une source de préoccupation pour les Zandé ; ils tentent de se protéger en consultant des oracles censés leur apprendre si quelque danger les menace.
L'étude d'Evans-Pritchard ne permet pas de décrire la forme prise par ces croyances chez d'autres peuplades. Certains Anglo-Saxons ont insisté sur la distinction entre sorcellerie innée et involontaire (witchcraft) et les pratiques de l' envoûtement (sorcery) : le jeteur de sorts utilise des éléments matériels, le sorcier non. Il est donc possible de prouver que l'on a affaire à des sortilèges et à des envoûteurs ; on a souvent trouvé des objets révélateurs chez les individus soupçonnés de se livrer à ces pratiques ou ayant avoué l'avoir fait. En revanche, il n'y a pas de preuve quant à la sorcellerie : le sorcier est simplement l'homme « au cœur mauvais ». On pourrait essayer de distinguer la magie suivant qu'elle est employée à des fins sociales ou à des fins antisociales ; mais des pratiques néfastes peuvent servir des causes justifiées. On range ordinairement dans la catégorie des êtres bénéfiques les gens qui remplissent une charge rituelle, notamment le faiseur de pluie et le devin-guérisseur. Il arrive pourtant qu'on soupçonne le faiseur de pluie d'exercer ses talents à l'encontre de ses ennemis, et on redoute de la même façon les devins réputés neutres auxquels on demande d'élucider les causes d'une maladie. Le personnage du chasseur de sorciers[...]
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Écrit par
- Denise PAULME : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
Classification
Médias
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