SOUDAN, ROYAUMES SUR LE NIL (exposition)
Aux royaumes du Nil, ignorés du grand public, pour qui trop souvent la vallée se résume aux célèbres pyramides et à l'éclat des Ramsès, l'Institut du monde arabe a consacré, du 5 février au 31 août 1997, une exposition remarquable au succès bien mérité ; car, à l'abri des cataractes qui coupent le fleuve à six reprises entre Assouan et Khartoum, des civilisations originales se sont succédé dans ces régions mythiques que les Anciens appelaient l'Éthiopie, le « pays des hommes au visage brûlé », région connue sous le nom de Nubie, le pays de Koush des anciens Égyptiens. Voie de communication malgré les cataractes, le fleuve relie le monde méditerranéen à l'Afrique profonde, mais, par les pistes, reçoit aussi les produits en provenance de la mer Rouge ou de l'ouest de l'Afrique. Mêlant aux traditions locales des influences aussi diverses, les royaumes du Nil vont, au cours des millénaires, développer une civilisation africaine puissante.
La plupart des pièces exposées venaient du Musée national de Khartoum, beaucoup d'Allemagne et des États-Unis, quelques-unes d'Italie et de Pologne ; rien de France, où les collections publiques sont particulièrement pauvres sur ces régions, encore que de grands chantiers archéologiques soient actuellement conduits par des équipes françaises.
À partir du Néolithique (de 5000 à 3500 av. J.-C.), l'Égypte et les régions situées plus au sud vont évoluer de façon indépendante, sédentaire au nord, pastorale au sud. Grâce aux fouilles récentes menées à Kadero, au nord de Khartoum, à Kadada, au sud de la cinquième cataracte, ou à Kadruka, au voisinage de la troisième, on sait désormais qu'une civilisation élaborée commence à se dessiner : certains animaux sont domestiqués, l'orge semble cultivée dès le milieu du Ve millénaire et les cimetières montrent déjà des stratifications sociales. La céramique connaît un développement exceptionnel ; trois vases « caliciformes », présentés à l'exposition, ont sans doute pu être utilisés lors des rites funéraires ; des croyances religieuses sont suggérées par une remarquable figurine de grès veiné retrouvée à Kadruka : le sculpteur, d'un double trait horizontal, a su traduire le regard de ce qui a du être une idole de la préhistoire soudanaise. Plus tard encore, des silhouettes féminines en terre cuite montrent de lourds corps décorés d'incisions qui reproduisent sans doute tatouages et scarifications.
Cette habileté dans l'utilisation de l'argile perdure au cours des millénaires, témoignant de l'inventivité constante des Nubiens, tant dans la recherche des formes que dans la décoration incisée ou peinte. La civilisation que l'on appelle le groupe C – elle se développe en basse Nubie vers 2300-1600 avant J.-C. – poursuit cette tradition avec des coupes et des bols imitant la vannerie.
La présence de carrières de pierres dures, très appréciées dans l'architecture pharaonique, de même que les réserves d'or au sud de la première cataracte conduisent très tôt les Égyptiens à s'intéresser aux régions du Sud. L'Égypte agricole a besoin des troupeaux de Nubie, où convergent également bien des richesses africaines indispensables aux pharaons. Au Moyen Empire, l'Égypte édifie un réseau de forteresses à la hauteur de la deuxième cataracte, pour contrôler ses voisins nomades et se protéger des ambitions de l'État de Kerma, qui s'est développé à l'abri de la troisième cataracte et qui lui résiste pendant un millénaire. Enclose dans une enceinte à bastions, la ville de Kerma évoque les cités de terre crue du Sahel. Enterrés sous des tumulus avec leurs proches sacrifiés, les princes de Kerma reposaient sur des lits dont les pieds, en faïence ou plaqués d'or, imitent des pattes de bovidés ; des incrustations de mica figurent des palmiers ou des animaux fabuleux. Des[...]
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Écrit par
- Catherine BERGER-EL NAGGAR : ingénieur de recherche au C.N.R.S. (U.R.A. 995), responsable de la Mission archéologique française de Sedeinga (Soudan)
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