SOUFFLE, symbolique
Le long de l'axe de la verticalité humaine, la connaissancesymbolique hiérarchise trois champs de rapports au monde. Elle symbolise de façon unitaire ces champs par la notion de souffle. Ainsi, trois types de souffles les animeraient : le souffle cosmique, le souffle animal et le souffle vital. Correspondant respectivement au niveau de la tête, à celui de la poitrine et à celui du ventre, cette tripartition symbolique constitue l'image traditionnelle de l'humain archétype.
Correspondant à la tête et à la gorge, le premier niveau est celui du souffle créateur — symbolisé en Inde par l'oie Haṁsa qui couve l'œuf cosmique, ou par le souffle qui plane sur les eaux dans la genèse hébraïque. Il correspond au grec pneuma, au sanskrit prāna, au chinois shi, au japonais k'i, à l'hébreu ruah, au latin spiritus, à l'arabe coranique er-ruh, au français esprit. C'est le respire divin, émanant du centre du cosmos comme du centre de l'être humain. Ce centre est un vide, une attente, une pure potentialité de souffle. L'être s'évide de soi, Dieu s'efface et appelle la création à l'être. De ce vide central jaillit le son primordial (symbolisé comme un coup de tonnerre, de tambour cosmique, de trompe, imité par le grondement du rhombe). Temps d'inspiration, d'involution, de concentration cosmique, soupir de compassion selon l'islam, qui porte en soi tous les possibles, correspondant au « Que la lumière soit » de la Genèse. Le respire créateur est ainsi pensé comme le paradigme de toutes les dyades dynamiques qui rythment le cosmos comme un flux et un reflux d'un océan cosmique de vibrations, d'où jaillissent et où se résorbent les formes (kalpa et pralaya, gati-nivritti, uppāda-annāthatta, enveloppement et développement, procession-récession, génération-altération, etc.). Ce mouvement d'inversion du souffle cosmique, de part et d'autre du vide central, est symbolisé très souvent par des spirales de sens contraires s'inversant en leur centre commun. Lui correspondent également tous les symboles d'équilibre (balance, balançoire, escarpolette — c'est ainsi que le brāhman sacrificateur se place sur une escarpolette pour invoquer les cinq souffles). Pour la connaissance symbolique, la parole est ainsi structurée analogiquement au souffle créateur. D'où les spéculations sur les phonèmes sacrés (ōm sanskrit, amen hébreu, alpha et oméga gréco-latin qui se prononçait aūm, etc.), les sons-germes (sphota), les « verbes séminaux » (logoï spermatikoï), les correspondances vibratoires entre les choses, les images et les noms (signatura rerum, idéogrammes, hiéroglyphes symboliques), les ponctuations, accentuations, répétitions, modulations liturgiques et poétiques (cf. la rythmique et l'anthropologie du geste de M. Jousse), etc. Par le souffle cosmique, le niveau superficiel des formes correspond aux structures symboliques profondes de la pensée comme de la nature. D'où les symboles hiérogamiques conjoignant l'esprit créateur et la parole matricielle, Brahmā et Sarasvatī dans l'hindouisme, le Souffle saint trinitaire et la Sophia sainte dans l'Église orthodoxe.
Assimilable à la cage thoracique, le niveau symbolique intermédiaire du souffle correspond aux deux grands systèmes physiologiques que sont la respiration pulmonaire et la circulation sanguine centrée sur le cœur. Il s'identifie à ce que Platon nommait thumos. C'est le champ du souffle animal, correspondant à la vie de l'émotion, à la motivation et à la volition animale, à la sensibilité à valeur affective (notamment l'odorat), à toutes les colorations, valeurs, nuances, intensités, du sentiment. C'est à ce niveau psychophysiologique que joue le symbolisme des éléments : de l'air et de la terre par la respiration, de l'eau[...]
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Écrit par
- Alain DELAUNAY : chercheur au Collège international de philosophie
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