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SOUFFRANCE

Statut métaphysique de la souffrance

Si la souffrance se développe d'abord dans la direction d'une compréhension des indices qu'elle dégage et dans celle d'une recherche de sa causalité ultime, on pourrait la définir comme l'expression du mouvement d'individuation en tant qu'il a pour corollaire un processus d'exclusion. De fait, tout se passe comme si l'irruption de l'autre dans notre vie psychique – ou l'absence de cette irruption – devait être ressentie comme pénible pour parvenir à se transformer en force de stimulation effective. « Les maux de ce monde, écrivait Bossuet, sont toujours plus réels que ses biens. » Car, à travers la forme originaire de la douleur et dans l'hostilité qu'elle suscite, se constitue la première « réalité » sous la pression d'une exigence visant à l'identification – toujours problématique – d'une cause objective de nos souffrances.

Pourtant, reste à savoir s'il n'existe pas en chacun de nous un être qui « joue » seulement « sur des ruines », comme l'écrit Proust, et qui n'a plus « besoin d'aucune nourriture », lorsque, couvrant sa souffrance dans un îlot de solitude, il se repaît moins d'elle que de la nature des métamorphoses dont elle fait preuve et de l'originalité des échos qu'elle suscite.

Mais toute solitude perpétuée montre l'impossibilité de la solitude, de même que toute mort réelle montre l'impossibilité de la conscience à joindre la mort. Ainsi se trouve révélée la cause dernière de la souffrance : à quoi celle-ci pourrait-elle tenir, si ce n'est à la nature du réel, dont la mort constitue le paradigme ? Ce qu'il est impossible à la pensée de traverser, tel est le « mal venu » contre lequel le désir achoppe, brisé de ne « pouvoir » son plaisir.

On comprend dès lors comment, dans cet horizon létal, s'interroger sur le statut métaphysique de la souffrance revient à élucider conjointement le problème de la fonction humanisante de la souffrance et celui de la constitution du réel. Mais, pour ce faire, encore faudrait-il déterminer en quoi la souffrance possède un statut spécifique, distinct du sentiment de besoin, de l'état d'attente angoissée et de l'expérience du deuil.

L'homme est devenu pour lui-même une « cause de souffrance, écrivait Nietzsche, dans l'exacte mesure où il n'inspire plus la crainte ». Pourtant, est-ce vraiment du renoncement de la volonté à incarner le terrible que naît la souffrance ?

Le héros affirme sans doute son humanité par le mépris dont il fait preuve à l'égard de l'existence biologique. Et le combat sans merci qu'il livre à l'adversaire atteste l'exigence d'une trouvaille dont la valeur s'impose au-delà des contingences phénoménales. Mais la victoire mémorisée n'égale jamais la victoire réelle : nul ne gouverne l'éphémère ! Aussi la fuite initiale et la tenue à distance du réel mortifère doivent-elles se perpétuer dans cette descente aux enfers qu'exige la soumission à une puissance étrangère. Mémoire et joie se montrent alors incompatibles, la première fixant des représentations tandis que la deuxième supprime les médiations. Aussi bien Nietzsche le note-t-il, tout se fait « tragédie » autour du héros qui, inspirant la crainte, croit vaincre la souffrance. Mais, « autour du demi-dieu, continue-t-il, tout se fait jeu satyrique ; autour du Dieu tout se fait – comment dire ? – peut-être monde ».

Trois types de comportement face à la souffrance nous semblent par là indiqués. Le héros, victime potentielle, éprouve une révolte qui s'organise en lutte. Le demi-dieu adopte une attitude qui double tout contentement d'une mélancolie de fond. Mais le dieu, seul, ose produire la souffrance qui, expression[...]

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