SOUFISME ou ṢŪFISME
L'Irak, berceau du soufisme
C'est en Irak, centre du pouvoir califal à partir du milieu du iie/viiie siècle, creuset intellectuel et carrefour d'influences diverses (Massignon, Passion, chapitres consacrés à la formation d'Al-Ḥallādj), dans les cercles mystiques de métropoles comme Bassora (Al-Baṣra) et surtout Bagdad, la capitale abbasside, fondée en 145/762, que le soufisme historique prend naissance au iiie/ixe siècle.
Les soufis, auparavant dispersés dans l'ensemble du Proche-Orient et notamment sur les marches byzantines, commencent à former des écoles autour de quelques maîtres réputés : Al-Djunayd (m. 298/910) à Bagdad, Al-Tustarī (m. 283/896) à Bassora. Alors sont développés publiquement, puis consignés en des traités les thèmes qui relèvent de l'expérience mystique : introspection, éducation de l'âme qui doit se débarrasser de ses mauvais penchants, amour de Dieu et surtout ascension vers Dieu à travers une série d'étapes ou de stations (maqām) progressives et des états (ḥāl), qui sont, eux, donnés en grâce.
Le terme de la voie est l' union, ou plutôt l'anéantissement en Dieu (fanā'), car, dans un islam qui professe un monothéisme rigoureux, on ne peut faire état d'union consubstantielle (ittiḥād) ni d'infusion en Dieu (ḥulūl) sans se voir taxer d'hérésie, ce qui fut le cas de quelques mystiques au cours des siècles. Pour cheminer dans cette voie et aboutir à l'extase (wadjd), les armes du soufisme ont été fourbies de longue date. À côté de macérations diverses, dont certaines sont communes au zuhd modéré, il s'agit notamment du dhikr, mention inlassable du nom de Dieu, de litanies appelées wird, que cette dénomination différencie de la prière canonique (ṣalāt). Il n'est guère encore question de la danse (raqṣ), ni du samā‘, concert spirituel, qui ne seront admis par tous qu'à partir de l'époque confrérique.
Parallèlement se mettent en place les premières bases d'un enseignement qui place l'apprenti mystique (murīd) sous la direction spirituelle d'un maître ( shaykh, plus tard pīr, dans le domaine iranien). Cette intrusion du soufisme dans la pensée religieuse du temps ne va pas sans susciter des réactions. Certaines attitudes étant jugées peu orthodoxes, des procès sont intentés à la fin du iiie/ixe siècle. La crise culmine avec le célèbre Ḥallādj, qui avait eu le tort de rendre publics certains propos prononcés sous l'empire de l'enivrement spirituel (sukr), telle la fameuse locution théopathique (shaṭḥ) : Anā al-Ḥaqq (« Je suis Vérité, c'est-à-dire Dieu »). Mais on lui reprochait, sans doute, plus encore d'ameuter le populaire et de rechercher le prosélytisme. Accusé d'avoir partie liée avec les chī‘ites extrémistes, adversaires acharnés du pouvoir de l'époque, dont il partageait, il est vrai, en partie, le vocabulaire, il fut emprisonné une dizaine d'années avant d'être finalement jugé puis exécuté en 310/909 (sur ce personnage capital, Massignon, Passion).
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Écrit par
- Jacqueline CHABBI : professeur des Universités, université de Paris-VIII
Classification
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