SOUFISME ou ṢŪFISME
Vers un soufisme intégré au sunnisme
La fin tragique d' Al-Ḥallādj mettait un point final à la mystique de la rupture. Les survivants du mouvement, échappés aux persécutions consécutives à l'exécution, aussi bien que les autres soufis, soit qu'ils demeurent en Irak, soit qu'ils se répandent en diverses contrées (surtout en Iran), n'auront de cesse qu'ils n'obtiennent pour le soufisme un statut de mouvement reconnu et intégré à l'orthodoxie sunnite, tout en gardant certaines spécificités. Ils ne pourront le faire qu'en modifiant quelque peu le passé de leur mouvement, et en se cantonnant dans une discrétion qui consiste notamment à ne tenir de propos d'une haute spiritualité qu'à ceux qui sont préparés à les entendre, en respectant, donc, les hiérarchies sociales et culturelles.
Ce sera la règle des deux siècles suivants. Repartant sur ces bases nouvelles, le soufisme fera fortune, notamment en Iran, où il s'implante au début du ive/xe siècle, en se combinant avec ou en supplantant les mouvements locaux (« Karrāmiyya », E.I., 2). Adopté par la dynastie turque des Seldjoukides, qui domine alors l'Est islamique, il se répand à sa suite, dans l'ensemble du Proche-Orient, avant de gagner peu à peu le monde islamique dans son entier. C'est à partir de ce moment que, de courant singulier qu'il était, le soufisme devient synonyme de mystique en général. La reconnaissance officielle dont il jouit désormais, tout au moins dans l'islam sunnite, a été facilitée par l'action conjuguée de plusieurs facteurs, et d'abord par une lente évolution des mentalités, à travers, notamment, une croyance diffuse mais largement répandue en la présence de saints parmi les hommes (Abdāl, singulier Badal ; Awliyā', singulier Walī ; voir ces termes in Massignon, Passion, index).
Depuis que l'ère de la prophétie est close (avec Mahomet, sceau des prophètes, selon la doctrine du sunnisme classique), ces personnages sont censés jouer un rôle d'intercession, détenir et transmettre la baraka (bénédiction divine) et être capables d'accomplir des miracles (karāma). De telles idées reposent certainement, en partie, sur un substrat préislamique auquel est lié un autre phénomène important : la généralisation des pèlerinages mineurs appelés ziyarāt, pour les différencier du pèlerinage canonique à La Mekke (Ḥadjdj).
Les ziyarāt sont faites le plus souvent à des tombeaux, mais elles peuvent aussi concerner d'autres lieux, sources, grottes, etc. Quant à l'insertion doctrinale définitive du soufisme dans le courant sunnite, elle passe, d'une façon certaine, par la médiation de grands penseurs tels que Abū Ḥāmid Al-Ghazālī (m. 505/1111, Iranien du Khorassan proche de la cour seldjjoukide ; voir E.I., 2), qui l'intègrent à leur credo. À l'inverse, c'est à partir de cette période que les adversaires du soufisme font de plus en plus figure d'isolés, tels l'ardent polémiste irakien, Ibn Al-Djawzī, m. 597/1200 (E.I., 2), ou, un peu plus tard, Ibn Taymiyya, l'ancêtre du wahhabisme actuel, mort en prison en 728/1328, pour avoir osé attaquer de front les puissantes confréries de l'Égypte des Mamlouks (E.I., 2).
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Écrit par
- Jacqueline CHABBI : professeur des Universités, université de Paris-VIII
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