SOULÈVEMENTS (exposition)
Les cinq motifs annoncés – « Par éléments (déchaînés) », « Par gestes (intenses) », « Par mots (exclamés) », « Par conflits (embrasés) », « Par désirs (indestructibles) » – autour desquels s’articule Soulèvementsmettent le visiteur au diapason de l’option poétique et politico-lyrique totalement assumée par Georges Didi-Huberman, le commissaire de cette exposition présentée au Jeu de Paume (2016). De manière stimulante, le philosophe et historien d’art partage ses recherches sur le questionnement des images, axe majeur de sa recherche et notamment des six volumes qui composent L’Œil de l’histoire (2009-2016) : « Comment les images puisent-elles si souvent dans nos mémoires pour donner forme à nos désirs d’émancipation ? Et comment une dimension “poétique” parvient-elle à se constituer au creux même des gestes de soulèvement et comme geste de soulèvement ? »
Gestuelle de la révolte
Remontages, le film expérimental de Maria Kourkouta qui ouvre Soulèvements, confronte des extraits de La Grève d’Eisenstein, de Zéro de conduite de Vigo, de Stromboli de Rossellini…, donnant le « la » de cette exposition conçue comme un montage capable de faire dialoguer œuvres d’art et documents, dans un anachronisme fécond. Monter pour« faire se lever des correspondances intimes entre des choses dissemblables ; et que ces correspondances exigent, pour être aperçues, pour fuser enfin, tout un art de la libre association, de la digression, de la construction polyphonique des références et des citations », comme l’écrit Didi-Huberman dans Peuples en larmes, peuples en armes (L’Œil de l’histoire, 2016). Telle est bien la proposition faite au visiteur, appelé à se laisser porter par l’énergie et l’esthétique des gestes et des formes nées du désir de soulèvement.
« Les éléments se déchaînent, le temps sort de ses gonds »… les métaphores de la tempête et des ouragans empruntées à Victor Hugo décrivant les manifestations soufflent sur la première partie de l’exposition avec Les Drapeaux (1830) de Léon Cogniet, Élevage de poussière (1920) de Man Ray, Les Disparates (1815-1824) de Goya et Patriote(2002) – le sac en plastique rouge dans le ciel du 11 septembre – de Dennis Adams. Le passage de l’accablement au soulèvement se traduit par des « Gestes (intenses) »,comme ce bras fermement levé du Révolutionnaire sur une barricade, dessiné en 1848 par Courbet, ceux de la syndicaliste Rose Zehner photographiée en 1938 par Willy Ronis, des lanceurs de pierres saisis par Gilles Caron en 1969 à Londonderry ou des habitants de Guernica devant une reproduction du tableau de Picasso (1977). Quand la coupe déborde, il faut parfois taper du poing sur la table, semble dire une vidéo performance de Jack Goldstein (1972).
Et,« quand les corps disent non »,cela peut être ceux des hystériques mis en scène par l’iconographie de la Salpêtrière étudiée par Didi-Huberman dans son premier ouvrage (Invention de l’hystérie. Charcot et l’iconographie photographique de la Salpêtrière, 1982), ou celui de cet homme électrisé de rage dans le film expérimental de Paulo Abreu (2003). De Rosa Luxemburg aux résistances numériques des lanceurs d’alerte, de Dada soulève tout en 1921 aux « cinétracts » de 1968, d’affiches en tracts, le soulèvement s’exprime aussi par « Mots (exclamés) »dans les textes des écrivains, des poètes ou des anonymes.
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Écrit par
- Armelle CANITROT : journaliste et critique photo
Classification
Média