KEITA SOULEYMANE (1947-2014)
Né le 17 avril 1947 à Gorée, petite île située à trois kilomètres au large de Dakar (Sénégal), Souleymane Keita entre à treize ans à l'école des Beaux-Arts de Dakar, où il étudie d'abord dans la section des arts plastiques, puis à l'atelier de céramique. Il reste très marqué par ses nombreux voyages dans différents continents et par un séjour de plusieurs années aux États-Unis où il s'installe en 1975 pour travailler, rencontrant de nombreux artistes et multipliant les échanges. En 1985, il retourne – choix conscient, voire engagement – au Sénégal et se fixe à Gorée.
Rompant très tôt avec le « symbolisme » de l'école de Dakar, Souleymane Keita suit rapidement une voie plus personnelle. De sa production antérieure à sa période « américaine » subsistent quelques œuvres dans des collections privées, d'autres sont connues grâce à des reproductions d'anciens catalogues d'exposition et diffèrent radicalement des toiles ultérieures. Deux œuvres présentées au Grand Palais, à Paris, en 1974, lors de l'exposition Art sénégalais d'aujourd'hui, sont intéressantes à cet égard. On distingue facilement, dans une aquarelle intitulée Procession, des personnages anthropomorphes portant le même costume et évoluant sur un fond neutre, sans réel souci de composition et de mise en perspective. Une huile sur toile, Le Poisson volant, de facture plus abstraite, peut déjà être rapprochée, par sa profonde tonalité rougeoyante, d'un tableau de 1988, Massacre des Tutsi, présenté lors de l'exposition Art contemporain du Sénégal à la Grande Arche de la Défense à Paris en 1990.
Bien que la rupture ne soit pas brutale, son œuvre tend, dans les années 1980, vers le non-figuratif et l'abstraction raffinée, associant des signes mythiques dogons, un style élégant dans l'esprit de Kandinsky, parfois un univers surréaliste proche de celui de Tanguy comme dans Voyage au Mali (1984). Hormis le travail sur la couleur, sans doute alors plus délicate et nuancée – ses œuvres actuelles sont d'un coloris beaucoup plus franc et vif, plus soutenu et concentré, plus éclatant aussi –, les toiles montrées à l'exposition Art contemporain du Sénégal au musée du Québec en 1981, révèlent des formes ovoïdes – graphisme gracieux et constructions délicatement évidées – encore présentes dans des toiles comme le triptyque Étude de signes (1992). Dès son retour à Gorée, il peint des œuvres d'une étonnante sérénité donnée par de grands aplats de couleurs ocre et marron, évoquant pour lui le Mali de ses ancêtres, ses terres ferrugineuses et ses déserts arides. Un étrange mystère sourd des signes issus d'une ancienne écriture, vraisemblablement perdue, mais que lui seul connaît, comme celle qui se répète dans la suite des trois Signe du Dogon (1991) accrochés à la galerie Le Monde de l'art à Paris en 1993.
Souleymane Keita travaille accroupi au-dessus de ses toiles posées à plat sur le sol, seule manière d'éviter les coulées de peinture puisqu'il travaille généralement avec beaucoup de liquide et des pâtes très onctueuses pour graver dans leur épaisseur des signes cabalistiques, traces fines, claires et nettes. Après la terre, c'est l'air et l'eau qui sont abordés en une délicate symbiose dans la série de toiles intitulées Signes et tourbillons (1992). L'œuvre se dépouille de sa masse pour ne plus conserver que des signes essentiels dansant en rond dans la couleur, à peine lisibles, telles de grandes algues déroulant leurs volutes au gré des vagues et du vent, assemblages de minuscules signes géométriques qui traduisent les paysages, l'atmosphère du désert, le ciel ou les fonds sous-marins. Autant de visions cosmiques et poétiques qu'il inscrit dans des toiles circulaires qui, de même qu'elles n'ont pas de sens précis[...]
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Écrit par
- Philippe BOUCHET : historien de l'art
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