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SOUMISSION (M. Houellebecq) Fiche de lecture

Michel Houellebecq - crédits : Kojoku/ Shutterstock

Michel Houellebecq

« Toute société a ses points de moindre résistance, ses plaies. Mettez le doigt sur la plaie, et appuyez bien fort. » Ce programme, énoncé dès Rester vivant (1991), Michel Houellebecq l’a mis en œuvre dans Soumission (Flammarion, 2015). La réception tumultueuse du roman suffit à le prouver. Le sujet choisi ne prétendait assurément pas au consensus : le titre, Soumission, auréolé d’une multitude de connotations érotiques et politiques, est aussi – Michel Houellebecq l’a immédiatement indiqué – une des traductions possibles du mot islam.

Une logique d’épuisement

Nous sommes en 2022. François, universitaire spécialiste de Huysmans, apathique, désabusé et « aussi politisé qu’une serviette de toilette », assiste au déroutant second tour de l’élection présidentielle. Pour contrer l’extrême droite incarnée par Marine Le Pen, le candidat sera Mohammed Ben Abbes, le champion du tout récent parti de la Fraternité musulmane. Cette configuration inattendue suscite un séisme politique : les partis traditionnels de gauche et de droite en appellent à un front républicain uni et se rangent derrière Ben Abbes. Avec la victoire de ce dernier, l’histoire politique fait brutalement irruption dans la vie de François : des émeutes surviennent, l’université ferme, sa maîtresse juive le quitte pour partir en Israël. Et, une fois le calme revenu, François se voit finalement congédié : l’Éducation nationale comme l’université sont désormais tenues d’assurer un enseignement islamique, qui ne saurait être dispensé que par des musulmans. Mais le nouveau régime manque de professeurs d’envergure. On propose donc à François de prendre en charge l’entrée des œuvres de Huysmans dans la bibliothèque de la Pléiade ; on lui présente l’islam sous le jour jugé le plus avantageux ; on lui fait enfin miroiter les bénéfices – financiers et matrimoniaux, puisque la polygamie a été légalisée – qu’il y aurait à se convertir pour réintégrer son poste. Dans un ultime chapitre suspensif, entièrement rédigé au conditionnel, François se prend à envisager cette conversion comme une éventualité tout à fait séduisante.

Si l’essentiel de l’intrigue tient bien dans ces quelques lignes, rarement pourtant résumé se sera révélé aussi trompeur. Car les enjeux du roman et son atmosphère crépusculaire excèdent amplement le cadre de la fiction politique qui a focalisé, lors de sa parution, l’attention des critiques. Soumission marque en effet une nouvelle étape, plus noire, plus désespérée, dans la réflexion de Houellebecq sur la désintégration d’une civilisation occidentale minée par l’individualisme libéral. Nulle épopée, cette fois, nulle « mutation métaphysique », comme dans Les Particules élémentaires, pour compenser l’inexorable déclin : le roman, qui a paru cautionner la thèse d’un « retour du religieux », met au contraire en scène l’échec de la quête d’une spiritualité, désormais inaccessible. Les religions, dans Soumission, ne sont plus affaires de foi mais de codes et de conventions. Dieu – celui des catholiques comme celui des musulmans – a déserté le monde, et cet abandon, qui ruine toute certitude, renvoie du même coup les hommes à leur néant.

François, le narrateur – un des personnages les plus ternes du roman houellebecquien –, reflète parfaitement cette logique d’épuisement. Se plaignant de ce que ses maîtresses successives le quittent invariablement en lui déclarant qu’elles ont « rencontré quelqu’un », il s’étonne : « Oui, et alors ? Moi aussi, j’étais quelqu’un ». Le trait d’humour, typiquement houellebecquien, est plus profond qu’il n’y pourrait paraître : le moi se fond ici dans une masse anonyme et indifférenciée. Et le désespoir est d’autant plus radical que, pour la première fois dans les romans de Houellebecq, ni l’amour ni même le sexe ne viennent enrayer cette dissolution[...]

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