SOUS LE SABLE (F. Ozon)
Le cinquième film de François Ozon, Sous le sable (2001), s'ouvre sur un plan d'ensemble d'une Seine aux reflets bleus sous le soleil, non loin de Notre-Dame de Paris, sans doute pour nous donner l'intuition du rôle fondamental que jouera l'eau dans le cours du récit. Celui-ci s'attache tout d'abord à décrire un couple d'une cinquantaine d'années, Marie (Charlotte Rampling) et Jean (Bruno Cremer). Leurs gestes comme leurs intonations laissent percevoir une tendresse et une affection nées d'une habitude de vie en commun de vingt-cinq ans. Sous cette apparente harmonie, n'existe-t-il pas, cependant, une zone de solitude à deux, un espace où Jean, bien silencieux au sein du couple, se replierait ? Dans le jardin de sa maison des Landes, il soulève une bûche et observe l'activité fébrile d'innombrables fourmis dans la terre : la course de ces minuscules insectes pourrait évoquer le grouillement d'idées de décomposition et de mort qui le hantent. Le premier jour de leurs vacances, une plage peu fréquentée d'Aquitaine attire le couple. Marie s'allonge sur le sable et lit Le Lys dans la vallée. Jean veut se baigner immédiatement. Une ellipse suggère l'écoulement du temps. Jean n'est pas revenu. Où est-il ? Marie se lève et part à sa recherche.
L'écriture cinématographique (mouvements de caméra et cadrages) de la perception de la disparition va marquer, dans le film de François Ozon, une véritable coupure : le passage de l'objectivité (l'observation du comportement du couple depuis son départ de Paris) à la subjectivité (la transcription des sentiments d'une femme confrontée au tragique de la séparation). Sur le sable, Marie s'avance vers l'eau, accompagnée par un lent travelling latéral. Puis, en un bref et rapide panoramique, la caméra dessine autour de son corps un demi-cercle pour venir cadrer, de face, en gros plan, un visage empli d'inquiétude qui interroge en vain l'océan dont les reflets sont passés d'un bleu lumineux (lors de l'arrivée sur la plage) à un vert froid aspergé par l'écume blanche des vagues. Qu'est devenu Jean ? Ni Marie ni le spectateur ne l'ont vu entrer dans l'eau. S'est-il noyé accidentellement, victime d'un courant dangereux ? S'est-il suicidé en se laissant volontairement engloutir dans la mer (plus tard, Marie découvrira des indices de dépression concernant son mari) ? Au lieu de se baigner, a-t-il quitté la plage en secret pour refaire sa vie loin de Marie, comme le soutiendra avec cruauté la mère de Jean ? Puisque son corps demeure introuvable, aucune de ces hypothèses ne saurait être exclue. Sous le sable appelle une lecture « plurielle ».
Un plan nocturne de l'eau noire de la Seine assure la transition entre les deux parties du film. L'amour éprouvé pour le disparu est si fort qu'il est impossible à Marie d'accepter l'idée de la mort. De retour à Paris, elle nie dans la vie quotidienne la réalité de la disparition. Si son mari n'est pas à ses côtés, explique-t-elle, c'est qu'il est en voyage, ou trop occupé. La pensée de Jean ne la quitte pas : en même temps qu'une robe rouge, elle achète une cravate dont le bleu pâle et clair s'accorde avec celui des yeux du disparu. Objets, lieux, images d'eau – eau bleue de la piscine, eau claire du bocal des poissons au restaurant chinois, reflet de lumière sur le quai du métro évoquant une surface liquide –, lectures nouent autour d'elle de fréquentes correspondances avec sa tragédie intérieure. Tout lui rappelle son mari : une veste posée sur un fauteuil, la sonnerie du téléphone à laquelle elle ne répond pas, le corps d'un homme nageant dans la piscine, la vue en plongée d'un cimetière à partir de l'appartement qu'elle visite. Enfin, l'émotion qu'elle ressent en lisant à ses étudiants des fragments d'un roman de Virginia Woolf,[...]
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Écrit par
- Michel ESTÈVE : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma
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