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SOUS LES TOITS DE PARIS, film de René Clair

L'invention du travelling sonore

Le film de René Clair est construit autour de la répétition de deux chansons : Sous les toits de Paris et C'est pas comme ça, écrites par les duettistes René Nazelles et Raoul Moretti, auteurs de nombreuses chansonnettes très populaires. Clair a vite compris l'intérêt qu'il y avait à s'allier les médias sonores qui environnent le cinéma : disque, music-hall et radio. Pour éviter des dialogues trop abondants et complexes, il centre le scénario sur une intrigue simple, rivée sur un petit groupe de personnages très typés : le chanteur de rue et son brave copain, le chef de bande et ses acolytes, le pickpocket, le « demi sel »... Les locataires de l'immeuble (construit en studio par le célèbre décorateur Lazare Meerson) sont aisément identifiables : la grosse dame à bigoudis, le grincheux à moustache qui se lave les pieds, le vieux bourgeois éméché. Le cinéaste a bien retenu les leçons du film burlesque muet des années 1920 de l'école Mack Sennett et de son maître Charlie Chaplin.

René Clair s'est employé à éviter autant que possible le dialogue synchrone. Les personnages chantent ou écoutent les autres chanter. Quand ils chantent, ils ne peuvent évidemment plus parler. C'est pour cela qu'Albert accélère le rythme de sa chanson lorsqu'il veut avertir Pola des dangers qui la menacent. Les personnages se retrouvent très souvent dans un bal populaire qui enchaîne les valses et les polkas, si bien qu'ils ne peuvent échanger la moindre parole. Quand ils se querellent, Clair place sa caméra à l'extérieur du bar, face à une porte vitrée qui fait écran à l'écoute du spectateur auditeur. Il va jusqu'à filmer une rixe entre les deux héros et la bande de malfaiteurs dans une ruelle sombre, à proximité d'une voie ferrée. Les vociférations des personnages sont alors perçues dans la pénombre et recouvertes par les bruits du train, la spatialisation du son inaugurant une forme de « travelling sonore ».

Cette obscurité avait préalablement été exploitée par le cinéaste dans la chambre d'Albert, lorsque ce dernier offre son lit à la belle Pola et qu'il se propose de dormir à même le sol de la chambre. La dispute sentimentale entre les deux futurs amoureux est filmée la plupart du temps avec la lumière éteinte, le rythme de la séquence étant ponctué par les interruptions d'éclairage. Jean-Luc Godard se souviendra de ce gag dans Une femme est une femme (1961), film qu'il dédie à René Clair, pour Quatorze Juillet et Pola Illery, et à Ernst Lubitsch pour Sérénade à trois (Design for Living, 1933).

— Michel MARIE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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