SOUVERAINETÉ
Le principe de souveraineté occupe une place essentielle dans la théorie politique : c'est autour de lui que s'ordonne la pensée du politique à partir du xvie siècle. La souveraineté apparaît ainsi comme le fondement de la modernité politique et permet en grande partie d'expliquer le processus historique de construction de l'État. En dégageant peu à peu le politique de sa dimension sacrée initiale, en postulant que l'organisation des sociétés reposait sur la seule responsabilité humaine, la souveraineté des États a très progressivement dessiné la représentation de référence de l'espace politique.
Le mot « souveraineté », dérivé du latin super, réfère à une puissance supérieure. En politique, il désigne le principe abstrait d'autorité suprême. Les notions de souverain et de souveraineté se sont développées au sein des États d'Ancien Régime en Europe, où le pouvoir était détenu par une dynastie investie par un pouvoir transcendant. Le souverain est non pas le monarque lui-même, mais le principe transcendant qui fonde tous ces régimes. Jean Bodin, avec notamment les Six Livres de la République (1576), est perçu comme le théoricien de la souveraineté. Il définit pour la première fois la notion comme la « puissance absolue et perpétuelle » de l'État : « La souveraineté est le pouvoir de commander et de contraindre sans être commandé ni contraint par qui que ce soit sur la Terre. » Bodin affirme que le roi doit se soumettre aux lois divines et aux coutumes du royaume acceptées par tous, mais qu'il ne doit pas partager son pouvoir. Il ne répond de ses actes que devant Dieu. Si le peuple a des droits que doit respecter le roi, les devoirs des sujets envers l'État sont tels que celui-ci s'apparente à un État absolutiste. Le monarque n'est souverain que par une délégation du pouvoir divin. Une telle approche se retrouve, toutes choses égales par ailleurs, en dehors de l'Occident : qu'il s'agisse du pouvoir des pharaons d'Égypte, de l'empereur en Chine, qui est « le fils du Ciel », ou encore du prophète Mahomet dans l'Islam. Jusqu'au xviiie siècle, les théories théocratiques dominent.
Le terme « souveraineté » reste utilisé après la fin des États d'Ancien Régime, même s'il prend un sens très différent dans les régimes démocratiques. En démocratie, le « souverain » s'incarne dans chaque citoyen qui délègue son pouvoir. Jean-Jacques Rousseau, dans le Contrat social(1762), promeut ainsi le principe de la souveraineté populaire. La souveraineté appartient au peuple, entendu comme l'ensemble des citoyens. Chacun d'eux est ainsi détenteur d'une parcelle de souveraineté. Dans cette logique, les citoyens ont une relation étroite avec la politique, et ils donnent à leur représentant un mandat « impératif ».
Lors de la Révolution française, les révolutionnaires ont voulu donner un fondement juridique à la souveraineté, pour ne plus la faire découler de la tradition ou de la religion, mais la faire résider dans la collectivité des citoyens. Avec la monarchie de Juillet, la notion de souveraineté nationale a fini par se substituer à celle de souveraineté populaire, alors qu'elles étaient utilisées de manière indifférente jusqu'alors. Dans les deux cas, il s'agissait initialement de distinguer l'État de la personne royale, le souverain des gouvernants. L'État est simplement la nation juridiquement organisée. C'est cette dernière qui détient la souveraineté. Elle est dotée d'une volonté qui lui est propre et qui est exprimée par ses représentants. Le pouvoir de commandement lui appartient donc. La Constitution de 1791 précise, dans son article premier (titre III), que la souveraineté est « une, indivisible, inaliénable et imprescriptible[...]
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Écrit par
- David ALCAUD : docteur en science politique, chargé de recherche au Centre interdisciplinaire pour la recherches comparative en sciences sociales, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris
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