SPÉCIATION
Au début du xxe siècle, la conception d'un monde vivant en évolution ayant gagné la majorité des biologistes, un intérêt croissant se porta sur les mécanismes de l'évolution. La formalisation de la notion déjà ancienne de sélection naturelle à la lumière des connaissances nouvelles sur les lois de transmission des caractères héréditaires déboucha sur une théorie, plus tard nommée théorie synthétique de l'évolution, dont un point fort fut l'élaboration conjointe de la définition biologique de l'espèce et du concept de spéciation.
On considère une espèce comme séparée de chacune de ses contemporaines par une barrière d'isolement reproductif, ensemble de différences interdisant ou limitant à un taux très bas la production d'hybrides fertiles. Sa descendance est ainsi génétiquement indépendante de celle de toute autre espèce (cf. espèce).
Elle peut pendant de très nombreuses générations constituer une seule espèce. Cela n'empêche pas l'accumulation de caractères nouveaux, au point qu'on puisse éventuellement juger utile de donner des noms différents aux états atteints à deux époques différentes. Comme la variation est souvent trop continue pour que se dégage sans ambiguïté un stade précis auquel le premier nom doive être remplacé par le second, elle ne peut être décrite objectivement comme la transformation d'une espèce en une autre et ne mérite pas la dénomination de spéciation phylétique (ou verticale) qui lui est parfois appliquée. La spéciation est ici exclusivement considérée comme l'éclatement d'une espèce en deux ou plusieurs espèces distinctes, du fait de l'apparition en son sein d'au moins une barrière d'isolement reproductif.
Approche descriptive de la spéciation
La description des peuplements actuels et passés fournit des arguments très forts en faveur de l'importance de la spéciation en tant que phénomène évolutif.
Parmi les tritons, animaux terrestres qui se reproduisent dans l'eau, les tritons à crête sont caractérisés par le développement chez le mâle, à l'approche de la période de reproduction, d'un repli de peau dorsal constituant une crête. D'après l'aspect de celle-ci et des caractères de coloration, on distingue cinq catégories. La forme cristatus se rencontre sur une grande partie de l'Europe, mais est absente de ses zones les plus méridionales. La forme marmoratus vit dans la péninsule Ibérique et dans l'ouest de la France. Les formes dobrogicus, carnifex et karelinii sont respectivement roumaine, italo-balkanique et turque. Au laboratoire, des hybrides ont été obtenus entre ces formes prises deux à deux dans toutes les combinaisons possibles. Sur le terrain, on connaît bien les relations entre cristatus et marmoratus, formes qui cohabitent par exemple en Bretagne. Elles n'exploitent pas les mêmes milieux, leurs périodes de reproduction sont légèrement décalées, leurs comportements préliminaires à la reproduction sont quelque peu différents et les produits de leurs croisements souffrent d'une mortalité embryonnaire et larvaire supérieure à la normale. Il en résulte que les hybrides adultes sont rares dans la nature. Parmi eux, les mâles sont stériles et les femelles engendrent, quand elles parviennent à se croiser avec des mâles « purs », des progénitures subissant de très fortes mortalités aux stades embryonnaire, larvaire et adulte. En conséquence, les patrimoines génétiques cristatus et marmoratus sont quasi indépendants. Ce sont des espèces distinctes, de même que, d'après des données moins directes, les trois autres formes. Les très fortes ressemblances morpho-anatomiques, physiologiques et moléculaires entre les cinq espèces, ainsi que leurs aptitudes à s'hybrider, indiquent qu'elles dérivent d'une espèce ancestrale relativement récente, soit par[...]
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Écrit par
- Jean GÉNERMONT : professeur à l'université de Paris-Sud, Orsay
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