SPÉCULATION
La spéculation est-elle déstabilisante ?
Indépendamment de tout jugement moral, la spéculation est nécessaire au bon fonctionnement des marchés à terme, car elle en assure la « liquidité ». En effet, les ordres d'achats et de ventes à terme émanant des opérateurs qui cherchent à se couvrir ont peu de chances de s'ajuster spontanément. Les marchés à terme sont structurellement déséquilibrés, et les spéculateurs contribuent à l'ajustement nécessaire en se portant contreparties du solde des positions. Leur rôle paraît même indispensable puisqu'ils acceptent, en espérant un gain, de prendre un risque que les autres participants ne souhaitent pas courir.
On a beaucoup débattu pour savoir si la spéculation joue dans le sens de l'équilibre ou du déséquilibre des marchés. Tout dépend, en fait, de la période dans laquelle on se situe. En période calme, la spéculation tend à être équilibrante, les mouvements sur les cours de change ou de Bourse étant temporaires. Par exemple, si le prix d'une action baisse, et si cette dépréciation est jugée temporaire, les spéculateurs l'achètent, anticipant son redressement ultérieur. Cette opération d'achat fait remonter le cours de l'action. Il est clair que ces comportements spéculatifs, destinés à réaliser des gains (ou à éviter des pertes) en capital, ont un effet stabilisateur.
À l'inverse, en période de crise sur les marchés, les anticipations changent de nature : les mouvements de parités des monnaies ou de prix d'actifs financiers sont considérés comme durables. En ce cas, les spéculateurs jouent la poursuite de la hausse des monnaies fortes (ou des actions orientées à la hausse) qu'ils cherchent à acheter, et la poursuite de la baisse de celles qu'ils cherchent à vendre. Les opérations spéculatives sont alors déstabilisantes, car elles tendent à amplifier les mouvements des taux de change et des prix d'actifs. Pendant ces périodes de tensions, des sommes considérables sont échangées sur les marchés (des changes ou de la Bourse), et les cours des devises (ou des actions) peuvent bouger de plusieurs points de pourcentage en une seule journée.
Il faut remarquer que toute opération de spéculation appelle, quand elle est « dénouée » (lorsqu'il y a prise de bénéfice), une opération de sens inverse. Par exemple, le profit de change à la baisse d'une monnaie se matérialise par le rachat de celle-ci après sa dépréciation. En effet, le spéculateur vend la monnaie dont il anticipe la baisse, et la rachète une fois que cette baisse s'est réalisée, contribuant ainsi à raffermir le cours. C'est pourquoi l'on assiste souvent à des « reprises techniques » sur les monnaies attaquées, au moment où les spéculateurs soldent leurs opérations pour prendre leur bénéfice. Ces dénouements d'opérations spéculatives contribuent aux mouvements de « yo-yo » qui caractérisent l'évolution des cours de change (ou des cours boursiers).
Aujourd'hui, l'essentiel des opérations financières à l'échelle de la planète consiste en de tels va-et-vient incessants. John Maynard Keynes, qui, dans sa Théorie générale (1936), fait par ailleurs de la spéculation l'un des motifs de la demande de monnaie, ne s'y était pas trompé lorsqu'il écrivait : « Le risque de la spéculation tend à grandir à mesure que l'organisation des marchés progresse. »
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Écrit par
- Dominique PLIHON : professeur émérite d'économie, université Sorbonne Paris nord
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