Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SPOLIATION DES ŒUVRES D'ART, France (1940-1944)

Le dossier du destin des œuvres d'art pendant l'Occupation a été rouvert publiquement à la fin de l'année 1995. La publication de l'enquête du journaliste Hector Feliciano Le Musée disparu et la traduction en français de la somme de l'historienne américaine Lynn H. Nicholas Le Pillage de l'Europe ont, d'entrée de jeu, alimenté le débat de nombreuses controverses.

En France, depuis les années 1970, le film Le Chagrin et la pitié (1971) puis les révélations apportées par la traduction de l'ouvrage de Robert Paxton La France de Vichy (1972) ont focalisé l'examen de cette période de l'histoire sur la responsabilité d'institutions nationales impliquées dans la collaboration avec les nazis. Il est pourtant très vite apparu que l'administration la plus exposée alors sur ce terrain, la Direction des musées nationaux, avait réellement joué le rôle de « bouclier » (que d'aucuns, dans les années 1960, avaient cru pouvoir attribuer à l'État vichyste tout entier, thèse désormais bien abandonnée). En organisant le transfert, la protection et la mise à l'abri des collections publiques et d'un grand nombre de collections particulières, dans des châteaux privés difficilement repérables et accessibles (la crainte, alors, n'était ni les pillages ni les spoliations, mais les bombardements), puis en compliquant la tâche de l'occupant quand il chercha à les réquisitionner, ce secteur de l'État avait, spontanément, adopté une attitude « résistante » face aux exigences nazies. Après la Libération, des dizaines de milliers d'œuvres retrouvées en Allemagne sont revenues en France et ont pu, pour l'essentiel, être restituées. Les Musées nationaux œuvrèrent alors afin que des pièces importantes non restituables dans un premier temps, parce qu'elles étaient d'origine douteuse, ou imprécise, ou encore parce que planait sur elles une présomption de spoliation, soient écartées des ventes qu'organisait l'administration des Domaines légitimement désireuse de procurer des liquidités à un État exsangue sur le plan budgétaire. C'est ainsi que fut constitué, dès le début des années 1950, un fonds d'un peu plus de 2 000 références que l'on baptisa M.N.R. : Musées nationaux récupération. Ces œuvres, qui ont été confiées à la garde des musées, ne sont, en aucune manière, considérées comme faisant partie du domaine public.

La tentation de la polémique

En 1996, la presse quotidienne, les revues et les magazines eurent à rendre compte du colloque Pillages et restitutions, le destin des œuvres d'art sorties de France pendant la Seconde Guerre mondiale, organisé au Louvre par la Direction des musées de France (D.M.F.) le 17 novembre 1996 ainsi que des recherches menées sur la question des spoliations artistiques par les nazis, en tant que problématique historiographique à la convergence des politiques culturelles du IIIe Reich et des persécutions antisémites. Les M.N.R. apparurent alors comme de véritables « buttes-témoins » de cet aspect oublié du pillage, et se retrouvèrent sous les feux de l'actualité.

Un raccourci trop rapidement tracé (œuvres en M.N.R. = œuvres spoliées) engendra une confusion : l'État aurait accaparé des œuvres spoliées et perpétuerait ainsi l'acte des spoliateurs. À coup d'équivalences hâtivement établies, ce point de vue se nourrissait des découvertes que des chercheurs accomplissaient, en France et à l'étranger, dans des fonds d'archives consacrés à d'autres secteurs touchés par les spoliations ou les appropriations criminelles : dépôts bancaires, contrats d'assurances, entreprises commerciales ou industrielles ; sans parler du « scandale » de l'immobilier parisien du quartier du Marais qui avait fait long feu entre-temps.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : conservateur en chef du Patrimoine, conservateur au centre Georges Pompidou, chargé de la documentation de la collection du musée national d'art moderne

Classification

Autres références

  • ART SOUS L'OCCUPATION

    • Écrit par
    • 7 408 mots
    • 2 médias
    ...tant bien que mal à l'appétit du vainqueur, refusant autant que faire se pouvait de lui livrer des œuvres françaises ou confiées aux Musées nationaux, les collections juives furent largement pillées, sans que cette politique de spoliation systématique ne fasse l'objet – du moins sur le moment –, d'une...
  • FRANCOFONIA. LE LOUVRE SOUS L'OCCUPATION (A. Sokourov)

    • Écrit par
    • 950 mots
    • 1 média
    ...l'Ermitage fut en partie détruit. Au contraire, les collections du Louvre demeureront intactes (les tableaux seront évacués dans des châteaux en province), le musée ne sera pas spolié par les nazis grâce à l'action concertée de deux hommes opposés par leur origine sociale, leur nationalité, leur fonction,...
  • PAUME JEU DE

    • Écrit par
    • 545 mots

    Le Jeu de Paume, à Paris, fut un musée d’art impressionniste, puis d’art moderne et contemporain, avant d’être consacré à la photographie.

    La salle du Jeu de Paume fut construite sous Napoléon III en 1862 dans le jardin des Tuileries, en symétrie avec le bâtiment voisin de l’Orangerie. On...

  • ŒUVRES D'ART & PRISES DE GUERRE (1945)

    • Écrit par
    • 2 666 mots
    • 3 médias
    ...expositionEntartete Kunst (« art dégénéré »). Ils ont alors retiré des collections publiques des œuvres d'art moderne et les ont vendues. Ils ont de plus saisi de nombreuses œuvres d'art appartenant à des Juifs pour les transférer dans des musées ou leur donner une « affectation » privée....