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SPOLIATION DES ŒUVRES D'ART, France (1940-1944)

Le retour à l'histoire

Il est désormais admis qu'il n'y a pas eu, dans les années d'immédiat après-guerre, de règlement total et définitif de la question des œuvres spoliées. C'est donc à l'examen des faits mis à l'épreuve du droit qu'il convient de se référer. Mais, pour que le droit soit dit, il doit s'appuyer sur une relation des faits qui rende compte non seulement des exactions et des persécutions commises par les nazis et des brèches délictueuses que leurs agissements ouvrirent dans le marché de l'art, mais aussi des difficultés des entreprises de récupération et de restitution, du climat social et politique, et des sensibilités qui prévalurent après guerre tant parmi les victimes de spoliations que parmi les survivants.

Les processus et les dispositifs d'appropriation, de mise en coupe réglée du patrimoine artistique présent sur le sol français ne relèvent ni de « la bonne aubaine », ni d'une exploitation des circonstances nées de la victoire du Reich ; ils résultent d'une intention, non seulement longuement mûrie et préparée, mais constitutive et fondatrice de l'expansionnisme nazi, qui classe les spoliations au nombre des buts de guerre de l'Allemagne. Le fondement de cette politique, c'est l'antisémitisme exterminateur d'Hitler. Ses conséquences, c'est l'espèce de blanc seing que les spoliations nazies donneront à tous les trafiquants. C'est la mise en œuvre de cette politique qui rend possible le projet de collection qu'Hitler rêvait d'installer dans son musée de Linz ainsi que les entreprises prédatrices des dignitaires nazis, les transferts massifs d'œuvres en Allemagne et, enfin, le formidable développement du marché de l'art parisien, qui n'était d'ailleurs pas limité au commerce d'œuvres spoliées.

En 1947, dans la préface à un recueil de documents nazis sur la question, Jean Cassou, directeur du Musée national d'art moderne, avait parfaitement discerné comment la haine pour les Juifs et la haine pour les œuvres, principalement celles des artistes modernes, étaient, chez les nazis, indissolublement mêlées : « Sans doute, les ouvrages du génie humain excitaient-ils la cupidité des brigands germaniques, puisque ces ouvrages étaient cotés extrêmement cher. Mais au fond d'eux-mêmes, dans leurs entrailles de bêtes, ils abhorraient la réalité spirituelle dont ce prix était le signe. [...] En fait, tous ces trésors étaient ensorcelés : c'était du juif. D'abord, les Juifs les avaient enfouis sous les flots mélodieux de leurs cavernes. Ensuite, à quoi aboutit l'effort du génie humain dans le domaine plastique ? À l'art dégénéré, à l'art juif. [...] Oui [le truand boche] abomine ces œuvres qui sont un signe de Satan, et dont lui, barbare, ne peut comprendre et saisir l'essence. Ici son appétit de profondeur échoue. Et ce n'est pas par hasard qu'il invente tout son système antisémite. Car ce qu'il appelle juif, c'est ce qui lui est inaccessible, ce qui ne peut le satisfaire et lui suffire... »

Ce n'est qu'à la mesure de cette histoire, qui doit inclure la formidable entreprise de récupération, de retour, d'identification et de restitution de la plupart des œuvres emportées en Allemagne, que peut s'apprécier la question, spécifiquement française, des M.N.R. À la fin de la guerre, aucun autre pays européen n'a d'ailleurs pris la précaution, respectueuse des victimes comme des recherches à entreprendre, de constituer un fonds comparable.

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Écrit par

  • : conservateur en chef du Patrimoine, conservateur au centre Georges Pompidou, chargé de la documentation de la collection du musée national d'art moderne

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