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SPOLIATION DES ŒUVRES D'ART, France (1940-1944)

Préliminaires

Dès le lendemain de la visite éclair d'Hitler à Paris, le 23 juin 1940, alors que la Wehrmacht n'occupe la capitale que depuis dix jours, des dispositions sont prises pour que les trophées de guerre d'origine allemande conservés aux Invalides soient expédiés au musée militaire de Berlin. L'émoi que suscite cette mesure, somme toute « normale » dans le cadre des vexations que le vainqueur inflige au vaincu, camoufle la décision prise quelques jours plus tard par l'ambassadeur Otto Abetz qui ordonne les saisies des stocks et collections de quinze très importants marchands parisiens, tous juifs : les Seligmann, Georges Wildenstein, Alphonse Kann, les Bacri, Paul Rosenberg, Bernheim-Jeune..., et ce antérieurement à la promulgation, par Vichy, de la loi portant déchéance de la nationalité pour les Français ayant quitté le territoire.

Ce que l'opinion de l'époque ignore également, c'est l'existence d'une liste, dressée sous la responsabilité d'Otto Kümmel, directeur des musées du Reich, de mille huit cents références correspondant à des œuvres, appartenant aussi bien à des musées qu'à des collectionneurs, dont, à des titres divers, l'Allemagne revendique la restitution : elle servira aux agissements d'un historien de l'art, Hermann Bunjes, initialement agent du Kunstschutz, transféré par Goering au sein de l'E.R.R. avec un grade d'officier de la S.S., et dirigeant, à Paris, l'Institut d'histoire de l'art allemand en France. C'est sous couvert de cet organisme à la façade universitaire que seront organisées les tentatives d'enlèvement de certaines œuvres des musées, qui se heurteront à la farouche résistance des conservateurs et du directeur du Louvre, Jacques Jaujard. Ce dont personne, en France, n'avait pris la mesure, c'est à quel point les nazis s'étaient, depuis des années, tant pour l'établissement de cette liste (qui restera secrète et peu exploitée par ses auteurs) que pour parvenir rapidement et sélectivement au sein des gisements d'œuvres qu'ils convoitaient, livrés à un travail de repérage, à coup d'échanges interuniversitaires, de stagiaires infiltrés dans les départements du Louvre, de thésards accueillis dans les bibliothèques, les archives, les documentations et les réserves des musées.

Dans le domaine de la diffusion des idées, de l'histoire de l'art, le pangermanisme était pourtant détectable : Pierre Francastel, qui publia en 1945 son cours de l'année 1939-1940 dispensé à l'université de Strasbourg repliée sur Saint-Étienne, intitula le volume : L'Histoire de l'art, instrument de la propagande germanique. Il y dénonce le détournement, au profit d'une exaltation nationaliste et raciale, de certaines théories sur l'art médiéval (la transition du roman au gothique) et sur les foyers de développement du classicisme et du baroque. La pression sur les persécutés pouvait être telle qu'un historien de l'art, allemand et juif, aussi sourcilleux que Max Friedländer, quoique chassé du Reich et réfugié aux Pays-Bas, soit « retourné » par les nazis : protégé par eux, il renseigna abondamment les agents de Goering qui cherchaient à localiser des œuvres de maîtres flamands dont il était spécialiste, pour compléter, par rapines, échanges ou achats, l'immense collection que leur maître rassemblait dans sa propriété prussienne de Karinhall.

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Écrit par

  • : conservateur en chef du Patrimoine, conservateur au centre Georges Pompidou, chargé de la documentation de la collection du musée national d'art moderne

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