- 1. La tentation de la polémique
- 2. L'état de la question au cours des années 1990
- 3. Le retour à l'histoire
- 4. Préliminaires
- 5. Les spoliations, les agissements de l'E.R.R.
- 6. La participation française à la spoliation par l'« aryanisation »
- 7. Le marché de l'art ou le libre jeu de l'offre et de la demande
- 8. Des ébauches de solution
- 9. Bibliographie
SPOLIATION DES ŒUVRES D'ART, France (1940-1944)
Les spoliations, les agissements de l'E.R.R.
Forts de tous ces préparatifs, au cœur de l'été de 1940, les nazis peuvent commencer leurs entreprises de spoliations à une très vaste échelle. Deux services concurrents interviennent dans un premier temps : la Gestapo, utilisée par l'ambassadeur Otto Abetz, et le très correct Kunstschutz, dépendant de la Wehrmacht et dirigé par le comte Metternich. Ces militaires sont chargés de localiser, d'inventorier, de protéger et de maintenir en place le patrimoine artistique français. Mais Abetz comme Metternich sont, dès la fin du mois d'août, doublés par l'E.R.R., Einsatzstab Reichleiters Rosenberg (le service de l'état-major Rosenberg), du nom de l'« idéologue » officiel du nazisme qui assurait la direction de ce service. Alfred Rosenberg était l'auteur d'un des ouvrages de référence des nazis Mythe du vingtième siècle. L'E.R.R. bénéficie du soutien politique du Reichmarschall Goering, « dauphin » d'Hitler, qui met à sa disposition l'appui logistique de la Luftwaffe et ses experts personnels, Bruno Lohse et Walter Andreas Hofer. L'E.R.R. s'installe au Jeu de Paume dès octobre 1940 et y transfère instantanément plus de quatre cents caisses stockées auparavant au Louvre et à l'ambassade d'Allemagne et qui correspondaient aux premières saisies. L'E.R.R. aura – au terme de son action à l'été de 1944 – procédé à la confiscation et à l'inventaire systématique de plus de 250 stocks de marchands et de collections, totalisant environ 15 000 œuvres et objets : outre les noms déjà cités, les listes de l'E.R.R. les plus fournies (celles qui correspondent à plus de 100 œuvres) comprennent les noms de Hans Arnold, des David-Weill et des Dreyfuss, de Jules Fribourg, des familles Halphen, Kalmann, Kalmann-Lévy, Kraemer, Mayer, Merzbach, d'Eugène Spiro, Jacques Stern, Walter Strauss, des familles Auxente, Lévy de Benzion, Weinberger et, évidemment, de toutes les branches Rothschild, dont les immenses collections excitaient la cupidité nazie.
Rose Valland, attachée de conservation au Musée national des écoles étrangères (le Jeu de Paume avant l'Occupation), assura sur place un contrôle périlleux pour elle. Elle renseignait Jacques Jaujard au jour le jour. Sa présence attentive, ses notes et ses rapports permirent de suivre et de connaître le provenance et la destination des œuvres entrant et sortant du bâtiment, de les mettre en relation avec la vingtaine de visites que Goering y accomplit, de comprendre l'organisation et les méthodes de travail de l'E.R.R., de débusquer la centaine d'œuvres impressionnistes ou modernes qui, par le biais d'échanges entre l'E.R.R. et des marchands allemands chargés de fournir Goering en œuvres anciennes et classiques, ne furent pas expédiées vers l'Allemagne mais se retrouvèrent sur les marchés de l'art français et suisse. En effet l'E.R.R. se livrait, au Jeu de Paume, à un véritable commerce, sous forme de trocs dûment consignés sur contrats. Sur le plan quantitatif, l'échange était inégal : il visait à fournir, pour les collections de Goering, d'Hitler et celles d'autres dignitaires nazis, de la peinture ancienne contre de la peinture impressionniste ou moderne, une pièce ancienne s'échangeant contre quatre à douze œuvres modernes. Les transactions, orchestrées par Kurt von Behr, chef de l'E.R.R. à Paris, se déroulaient essentiellement sous le contrôle d'Hofer, de Lohse et d'un autre rabatteur, Hans Wendland, avec un marchand allemand installé dans la capitale depuis les années 1920, Gustav Rochlitz. Celui-ci fournissait de la peinture ancienne prélevée sur son stock ou acquise sur le marché et écoulait la « marchandise » moderne ou impressionniste ainsi obtenue auprès de courtiers (dont certains, juifs, furent déportés ultérieurement) ou de grandes galeries ayant pignon sur rue dans la capitale.[...]
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Écrit par
- Didier SCHULMANN : conservateur en chef du Patrimoine, conservateur au centre Georges Pompidou, chargé de la documentation de la collection du musée national d'art moderne
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