SPORT L'année 2003
Rugby : un franc succès pour la Coupe du monde, mais un jeu en question
Lorsqu'on évoque, quelques années plus tard, un grand événement sportif, on garde essentiellement en mémoire l'issue de la compétition. Et la conclusion de la Ve Coupe du monde de rugby, organisée en Australie, fut magnifique. Le 22 novembre 2003, au Stade olympique de Sydney, la finale opposait l'Angleterre, le favori de l'épreuve, à l'Australie, le tenant du titre, devant 82 957 spectateurs. À la domination des hommes à la rose dans les phases de conquête (mêlées, touches, mauls), les Wallabies répondaient par une défense de fer. Si bien que, à la fin du temps réglementaire, les deux formations se trouvaient à égalité (14-14). Alors que la prolongation va s'achever, l'égalité persiste (17-17). Mais, à 22 secondes de la fin, Jonny Wilkinson, demi d'ouverture et star de l'équipe, passe un drop qui offre la coupe William-Webb-Ellis à l'Angleterre (20-17). Pour la première fois depuis la création de cette compétition en 1987, une équipe de l'hémisphère Nord est championne du monde de rugby. En toute logique.
Sur plusieurs points, cette Coupe du monde fut une grande réussite. L'organisation se révéla parfaite et le succès populaire incontestable : 1 837 547 spectateurs ont assisté aux 48 rencontres, soit une moyenne de 38 282 spectateurs par match, dans une ambiance festive. On peut désormais considérer que la Coupe du monde de rugby a gagné son statut d'événement majeur du calendrier sportif international.
On se doit néanmoins d'émettre quelques réserves. Tout d'abord, cette formule qui réunit vingt équipes propose trop de matchs déséquilibrés (l'Australie a battu la Namibie 142-0 !). De plus, aucune surprise n'est venu déranger le cours des choses, puisque, en quarts de finale, on trouvait tous les favoris et que l'affiche des demi-finales (France-Angleterre et Nouvelle-Zélande - Australie) correspondait à tous les pronostics. Ajoutons que, pour des raisons liées aux retransmissions télévisées, plusieurs équipes ont été pénalisées par l'ordonnancement du calendrier : ainsi, l'Argentine, qui semblait un outsider sérieux, dut disputer ses quatre matchs du tour qualificatif en seize jours, alors que son rival irlandais joua ses quatre rencontres dans le même groupe en vingt-quatre jours.
La question du jeu lui-même doit également être posée. Si la victoire de l'Angleterre est indiscutable, son style, fondé sur la puissance de son pack et l'occupation du terrain par un jeu au pied d'école, est peu spectaculaire : ainsi, l'Angleterre n'a inscrit qu'un essai en quart de finale face au pays de Galles, aucun contre la France en demi-finale, un seul en finale face à l'Australie, Jonny Wilkinson concrétisant par son talent de buteur (72 points pour ces trois matchs) la domination de son équipe. Le style de l'Australie, l'autre finaliste, n'est guère plus attrayant : avec plusieurs anciens treizistes dans leur équipe, les Wallabies fondent leur rugby sur les charges individuelles et la puissance des impacts. Seule la Nouvelle-Zélande proposa un réel jeu de passes et de mouvement, s'appuyant plus sur le contournement et la relance que sur le combat. Mais, en demi-finale, les All Blacks se montrèrent incapables de faire valoir leur technique contre des Wallabies féroces en défense. Il semble désormais nécessaire de mener une réflexion sur les règles du jeu et leur interprétation si l'on souhaite que le rugby à XV profite de l'engouement suscité par cette Coupe du monde. Le public se satisfera-t-il longtemps du type de jeu réducteur de l'Angleterre ? de l'ersatz composé de mélange de rugby à XIII et de football américain proposé par l'Australie ? Ce sport pourra-t-il drainer de nouveaux adeptes s'il demeure compliqué d'en comprendre les règles, et, surtout, leur interprétation par les arbitres,[...]
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
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