SPORT L'année 2013
Football : France-Ukraine, plus qu’un match
Le football, par son universalité, sa popularité, ses excès, est le seul sport qui engendre des passions extrêmes, irrationnelles. Le scénario de la qualification de l’équipe de France pour la Coupe du monde 2014 au Brésil, à l’issue de deux matchs de barrage face à l’Ukraine, porte en lui toutes les dramaturgies footballistiques. Après le match aller perdu le 15 novembre à Kiev (0-2), les Bleus, amorphes et décevants, étaient cloués au pilori par de nombreux médias, vilipendés par le public (il est vrai qu’avant même le match 82 p. 100 des Français déclaraient avoir une opinion négative de l’équipe de France), brocardés par certains politiciens populistes : ils étaient trop payés, arrogants, individualistes… Après le match retour remporté le 19 novembre (3-0), le public du Stade de France a communié comme jamais – pas même après le triomphe mondial de 1998 – avec ces joueurs, devenus « ses joueurs ». Le supporter est versatile, on le sait : en 90 minutes, les « sales gosses » se sont transformés en idoles du peuple… Les Bleus ont donc reconquis une partie du public, qui s’est découvert un héros inattendu : Mamadou Sakho, improbable auteur de 2 buts ce jour-là…
Pourtant, vaincre l’Ukraine ne constitue pas un exploit en soi ; néanmoins, depuis que des barrages existent dans la zone Europe (1998), jamais une équipe battue 2 buts à 0 au match aller n’était parvenue à renverser la tendance au match retour et à se qualifier. En fait, la magie du mardi 19 novembre n’est due qu’au cauchemar du vendredi 15 novembre… Trouver le juste milieu pour remettre cette équipe à l’endroit fut un exercice d’équilibriste à plusieurs acteurs : Didier Deschamps, le sélectionneur, dut redonner confiance aux joueurs ; Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football, se chargea vertement de les mettre devant leurs responsabilités ; et l’acteur Jamel Debbouze vint leur présenter en avant-première le film La Marche pour leur rappeler la chance qu’ils avaient de représenter la France…
On le voit, France-Ukraine n’était pas un match comme les autres, et il provoqua une sorte de « mobilisation générale ». Certes, des sportifs n’ont vocation ni à régler les problèmes de société ni à rebooster l’économie. Néanmoins, en partageant avec le plus grand nombre des moments de joie, en exaltant des valeurs de solidarité et de dépassement de soi, les Bleus ont ouvert une parenthèse enchantée dans un environnement de crise, ce qui n’est pas anodin. Ainsi, ce match a été l’événement le plus suivi de l’année à la télévision : il a réuni 13,5 millions de personnes devant le petit écran (avec un pic de 17,9 millions en fin de rencontre). Il généra plus de 1,2 million de tweets (en France, seuls les N.R.J. Music Awards [2 millions] ont fait mieux en 2013). Et cette qualification permet aux principaux partenaires des Bleus de respirer. Par exemple, pour T.F.1, qui a payé 140 millions d’euros pour s’assurer les droits de retransmission télévisée de la Coupe du monde 2014, une non-qualification des Bleus aurait provoqué un accident industriel : au soir du 15 novembre, l’action de la chaîne a perdu 3 p. 100 de sa valeur ; au soir du 19 novembre, elle a grimpé de 4,95 p. 100…
Cette victoire offre à l’équipe de France une visibilité inédite depuis 2006. À elle de profiter de cette dynamique et de ne pas tout gâcher, sur le terrain comme en dehors. Personne ne lui demande de remporter la Coupe du monde au Brésil – il est clair qu’elle n’en a pas les moyens. En revanche, placée par le tirage au sort dans un groupe très faible (avec la Suisse, l’Équateur et le Honduras), elle doit absolument se qualifier pour les huitièmes de finale. Alors, elle pourra se servir de cette expérience pour préparer la vraie échéance qui est la sienne : briller[...]
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
Classification
Médias