SPORT L'année 2013
Rugby : le paradoxe français
Le XV de France a connu une de ses plus mauvaises saisons : pour la première fois depuis que le Tournoi compte six nations (2000), la France a terminé à la dernière place ; partis en tournée en Nouvelle-Zélande en juin, les Bleus ont subi trois lourdes défaites face aux All Blacks ; en novembre, ils ont été battus à domicile par les All Blacks et par les Springboks ; en 2013, la France ne s’est imposée que face à l’Écosse et aux Tonga. A contrario, la finale de la Coupe d’Europe a opposé deux clubs français, le R.C. Toulon et l’A.S.M. Clermont-Auvergne. Comment expliquer ce paradoxe ? Et s’agit-il vraiment d’un paradoxe ?
En fait, la bonne santé des clubs français porte en elle-même les germes de la mauvaise passe de l’équipe nationale. Concernant le Championnat de France (Top 14), le temps du rugby des villages est oublié, et l’épreuve connaît un succès grandissant (l’affluence moyenne atteignait plus de 13 000 spectateurs par match en 2012-2013). Le Top 14 est ainsi devenu le championnat le plus prospère du monde. Depuis quelques années, des hommes d’affaires ont pris la tête de grands clubs : ainsi de Mourad Boudjellal (Toulon, 2006), Jacky Lorenzetti (Racing-Métro, 2006), Mohed Altrad (Montpellier, 2011) ou François Rivière (Perpignan, 2013). Aussi le budget moyen des clubs est-il en constante augmentation : 6,7 millions d’euros en 2004-2005 ; 19,45 millions d’euros en 2013-2014 (en croissance de près de 7 p. 100 par rapport à la saison 2012-2013). Cet afflux d’argent a provoqué l’arrivée en France de grandes stars mondiales. Citons simplement quelques joueurs phares : les demis d’ouverture Jonny Wilkinson (Angleterre, Toulon), Jonathan Sexton (Irlande, Racing-Métro) ; les trois-quarts Bryan Habana (Afrique du Sud, Toulon), Sitiveni Sivivatu (Nouvelle-Zélande, Clermont), Rene Ranger (Nouvelle-Zélande, Montpellier), Jamie Roberts (pays de Galles, Racing-Métro) ; les deuxièmes lignes Bakkies Botha (Afrique du Sud, Toulon), Ali Williams (Nouvelle-Zélande, Toulon), Richie Gray (Écosse, Castres) ; les piliers Carl Heyman (Nouvelle-Zélande, Toulon), Andrew Sheridan (Angleterre, Toulon)… Ainsi, de très nombreux joueurs titulaires dans le Top 14 sont étrangers : 80 p. 100 des demis d’ouverture, 70 p. 100 des piliers droits et des numéros 8, 65 p. 100 des deuxièmes lignes, et même 50 p. 100 des trois-quarts aile. Pour la saison 2013-2014, pas moins de 23 internationaux étrangers ont rejoint le Top 14 ; sur les 471 joueurs professionnels sous contrat, 207 sont étrangers (soit 43,9 p. 100). Cette profusion de talents payés à prix d’or empêche l’éclosion de jeunes espoirs français, ce qui nuit à l’équipe nationale, en manque de joueurs de classe mondiale à de nombreux postes.
Enfin, le succès du Top 14 a poussé la Ligue nationale de rugby à dénoncer le contrat qui la lie à Canal Plus, qui verse 31,7 millions d’euros par an pour diffuser les matchs, la chaîne BeIN Sport semblant intéressée ; la Ligue a ainsi obtenu de Canal Plus 355 millions d’euros pour cinq ans (saisons 2014-2015 à 2018-2019). Cette manne financière devrait favoriser encore l’arrivée de joueurs étrangers dans le Top 14.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
Classification
Médias