SPORT L'année 2015
Cyclisme : le présent victime du passé
Le cyclisme retrouvera-t-il un jour sa crédibilité ? Difficile de répondre par l’affirmative à cette question. Ce sport connaît une situation paradoxale, comme on a pu le voir à l’occasion du Tour de France 2015 : d’un côté, la popularité de la Grande Boucle et du vélo ne se dément pas, la foule se massant toujours le long des routes pour voir le peloton en un court instant de fête ; d’un autre côté, une partie de ce public n’a pas hésité à insulter gravement le Britannique Christopher Froome, vainqueur pour la seconde fois de l’épreuve, voire à le prendre à partie (durant la course, des spectateurs stupides lui jetèrent de l’urine et de la bière au visage), alors que certains représentants des médias mettaient en cause sans preuves ses performances, évoquant à mot couvert le dopage. Si le nom de Lance Armstrong a été rayé des palmarès, la trace de l’Américain demeure vive, et les exploits des champions du présent sont analysés à l’aune des errements de coureurs d’un passé récent.
Ainsi, après une dizaine de jours d’une course attrayante, le Tour de France a basculé brutalement, sur les plans sportif, médiatique et populaire, un 14 juillet, dans les six derniers kilomètres du col du Soudet menant à La Pierre-Saint-Martin, lieu d’arrivée de la première étape montagneuse. Au départ d’Utrecht, on pensait vivre un Tour grandiose, au rythme d’un combat féroce entre ceux que les chroniqueurs baptisaient les « quatre fantastiques » : l’Italien Vincenzo Nibali, vainqueur en 2014 ; le Britannique Christopher Froome, lauréat en 2013 ; l’Espagnol Alberto Contador, vainqueur en 2007 et en 2009, qui venait de gagner le Tour d’Italie ; et le Colombien Nairo Quintana, le meilleur grimpeur du peloton. Or, dans ce col du Soudet, Christopher Froome a mis à mal tous ses rivaux : Contador rejeté à plus de 3 minutes, Nibali, à plus de 4 minutes ; Quintana lui-même dépassé (il concédait 1 min 10 s à Froome). Le résultat final du Tour semblait donc déjà acquis, pour le plus grand déplaisir des « vendeurs » de suspense. Dès lors, la performance de Froome est frappée du sceau de la suspicion : des données datant de 2013 et impossibles à interpréter, mélangeant cadence de pédalage, puissance en watts et rythme cardiaque, refont surface ; on souligne la maigreur de Froome. Pour tenter de désamorcer la polémique, son équipe, Team Sky, rend publiques diverses données physiologiques internes enregistrées lors de la montée du Soudet et concernant Froome ; mais ces données, obscures car incomplètes, étant par définition invérifiables, le malaise enfle. Il eût pourtant suffi que sa consommation maximale d’oxygène (VO2 max) soit fournie pour faire taire les critiques – à la fin de l’année, Froome rendra publiques les données manquantes sans plus convaincre. Ce climat nauséabond marquera la dernière semaine du Tour, et on soulignera à peine que le triomphe de Froome ne confina pas au despotisme absolu, et qu’il vacilla durement dans la montée de L’Alpe-d’Huez, nettement distancé par Quintana, finalement deuxième du classement général (à 1 min 12 s de Froome).
Au-delà du Tour de France, il conviendrait de noter qu’une certaine « normalité » des performances a marqué la saison cycliste. Alberto Contador ambitionnait de réussir un doublé Giro-Tour, mais l’Espagnol a nettement échoué, prenant la cinquième place du Tour, à près de 10 minutes de Froome. Tous les principaux protagonistes de la Grande Boucle se retrouvèrent au départ de la Vuelta, fin août, pour une « revanche » : aucun d’eux ne pesa sur cette course, remportée par l’Italien Fabio Aru.
Froome est donc en fait confronté à un passé vivace : « Je dois m’y résoudre, je paye les erreurs de ceux qui m’ont précédé », dit-il. Mais, pour toute une génération de commentateurs,[...]
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
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Médias