St Louis Blues, ARMSTRONG (Louis)
Louis Armstrong (1901-1971) a révolutionné l'histoire du jazz en contribuant largement à transformer le contrepoint improvisé, hérité de la musique de parade de La Nouvelle-Orléans, en une musique plus organisée. Avec lui, le soliste se détachera de la masse orchestrale, faisant ainsi entendre distinctement son art.
Louis Armstrong quitte en 1924 le Creole Jazz Band de Joe «King» Oliver, établi à Chicago, pour rejoindre la grande formation de Fletcher Henderson, à New York. Il accompagne ensuite les grands interprètes du blues classique, comme Ma Rainey et Bessie Smith, avec qui il enregistre St. Louis Blues en 1925. En 1928, alors qu'il délaisse le cornet pour la trompette, il crée le Savoy Ballroom Five, une formation dans laquelle la clarinette et le trombone sont relégués au second plan, laissant le piano de Earl Hines et la trompette tenir des rôles prépondérants de solistes.
Cette version de St. Louis Blues – un standard dû à W. C. Handy – a été enregistrée en 1929, alors que Louis Armstrong mène différents big bands, interprète les grands standards populaires de l'époque et trouve aussi le temps d'apparaître dans un show de Broadway, Hot Chocolate, au côté de Fats Waller.
Ce blues est étonnant par sa forme, car les sections successives possèdent des couleurs bien distinctes grâce à des arrangements différents et à leurs modes d'harmonisation contrastés. Le thème du début est une sorte de habanera en mineur, puis on revient sur la syncope du style New Orleans. Plus loin, l'orchestre attaque un blues de base, joué dans la retenue pour accompagner la voix.
Face à ce paysage musical changeant, un géant du jazz naît: le trompettiste se détache du style «créole», aux effets appuyés, pour imposer son timbre éclatant et pur. Il n'a pas besoin d'artifices comme la sourdine ou le bol pour faire parler son instrument. Il phrase parfaitement, retenant sur le temps ou rebondissant sur les accents, là où ses prédécesseurs avaient tendance à jouer straight sur une assise rythmique certes beaucoup plus fluctuante. Ses accompagnateurs sont concentrés sur leurs parties de peur de laisser s'échapper le «fauve»; une consigne que se donneront vingt ans plus tard les membres successifs de l'orchestre de Charlie Parker.
Le chant voilé de «Satchmo» vit le blues comme jamais, cherchant des dessins mélodiques nouveaux. Son approche est musicale avant d'être narrative. Il sait phraser, jouer avec les inflexions et des modulations, étirer les mots ou les découper. Louis Armstrong change les expressions ou les déforme pour en créer d'autres, enrichissant ainsi le jive, l'argot fleuri des musiciens noirs.
Le final de St. Louis Blues est un saisissant moment de contraste: les tenues jouées par les anches sont appuyées par la contrebasse puissamment slappée et presque rock and roll de «Pops» Foster – le plus célèbre des bassistes New Orleans –, pendant que les riffs mutants et énergiques de la trompette font augmenter la tension musicale. «Il était et sera toujours l'essence du jazz», déclara Duke Ellington au moment de la disparition de Louis Armstrong en 1971.
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Écrit par
- Eugène LLEDO : compositeur, auteur, musicologue et designer sonore