STADE DU MIROIR, psychanalyse
Le stade du miroir est une phase structurelle de la constitution de la subjectivité introduite par Jacques Lacan dans la psychanalyse. En s'appuyant sur des expériences de la psychologie du développement et de l'éthologie de son époque, il fait une relecture phénoménologique du concept freudien de narcissisme.
L'illusion mortifère de Narcisse, amoureux de son propre reflet, devient chez Lacan un moment structurant du moi, situé entre six et dix-huit mois. Mais l'enfant, au lieu de confondre le reflet de son corps avec l'image d'un autre, commence par prendre l'image de l'autre pour son propre moi. Qu'il s'agisse d'un semblable ou de son propre reflet dans un miroir, l'enfant est contraint de se reconnaître, par identification, dans une image qui lui vient d'ailleurs. L'identité humaine se construit ainsi au prix d'une aliénation essentielle, confirmant le propos rimbaldien selon lequel « Je est un autre ». Cette expérience inaugurale inscrit à jamais le moi et ses objets dans un registre de fiction, caractérisé par la rivalité, la jalousie et la tension agressive entre un ego et un alter ego qui, relevant à l'origine d'une même image, ne parviennent pas à se séparer complètement.
Dès 1932, à partir de sa thèse de médecine sur la paranoïa, la constitution subjective était devenue pour Lacan un élément crucial pour la compréhension de la psychose. En 1936, il fait une première conférence sur le stade du miroir à la Société psychanalytique de Paris, avant de la présenter au congrès de l'International Psychoanalytical Association (IPA) qui se tient à Marienbad. Il est déjà imprégné de l'interprétation qu'Alexandre Kojève faisait de la phénoménologie hégélienne, notamment en ce qui concerne la lutte à mort pour la reconnaissance de l'autre comme fondement dialectique de la conscience de soi. Mais sa première publication sur le stade du miroir date de 1938, où il l'inclut dans un article sur la famille, paru dans l'Encyclopédie française.
En 1949, à nouveau dans un congrès de l'IPA qui se tient à Zurich, il présente la version la plus célèbre de cette notion dans son exposé sur Le Stade du miroir comme formateur de la fonction du Je, telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique – version qui sera finalement recueillie dans ses Écrits, en 1966. Citant Wolfgang Köhler (1887-1967), l'un des fondateurs de la théorie de la forme (gestaltisme), et James Mark Baldwin (1861-1934), théoricien du développement de l'enfant, et oubliant Henri Wallon, pourtant le premier à faire allusion à « l'épreuve du miroir » en 1931, Lacan met l'accent sur les effets ludiques et jubilatoires produits chez le « petit d'homme » par le fait de reconnaître son image en tant que telle dans le miroir. Face à cette image, l'enfant tente de se dresser, comme pour la prise d'une photo instantanée, souvent à un moment où il peut à peine se tenir debout, ce qui met d'autant plus en valeur la signification de l'événement. Lacan pose l'hypothèse qu'il s'agit d'une activité qui révèle à la fois un « dynamisme libidinal » et une « structure ontologique du monde humain ».
Si Freud avait pensé la libido en termes d'énergie qui circule, voire comme l'eau d'un fleuve qui coule, Lacan la conçoit à partir de la prégnance de l'image. Chez certains animaux, la seule vue d'un congénère, autant que celle de leur propre figure dans un miroir, est de nature à déclencher des processus sexuels physiologiquement complexes. Lacan trouve quelque chose de cet ordre dans les identifications humaines, où « la transformation produite chez le sujet, quand il assume une image », implique un investissement libidinal avec de multiples[...]
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Écrit par
- Alejandro DAGFAL : psychologue, historien de la psychanalyse et de la psychologie, attaché d'enseignement et de recherche (université de Lyon-I)
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